Train. Harel de la Noë développe le réseau des Côtes-du-Nord
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Train. Harel de la Noë développe le réseau des Côtes-du-Nord
Publié le 02 avril 2017 Erwan Chartier-Le Floch
En haut, à gauche, Harel de la Noé assis. Collections École polytechnique
Ingénieur de talent, Harel de la Noë s’est illustré par l’emploi de techniques innovantes afin de développer le réseau secondaire du chemin de fer des Côtes-du-Nord. Il laisse plusieurs dizaines d’ouvrages d’art qui se distinguent par leur élégance.
C’est à Saint-Brieuc, préfecture des Côtes-du-Nord qui n’étaient pas encore d’Armor que naît, le 29 janvier 1852, Louis Harel de la Noë. Originaire de Normandie, son père est notaire, de tendance plutôt libérale. La famille habite rue des Promenades, face à un paysage que le futur ingénieur va profondément modifier.
Élève doué, le jeune Louis accumule les récompenses, notamment au lycée impérial (aujourd’hui lycée Anatole-Le-Braz), puis à Louis-Le-Grand qu’il rejoint en empruntant la nouvelle ligne de train, Paris-Brest, arrivée à Saint-Brieuc en 1863. Il intègre ensuite l’École polytechnique où il côtoie un compatriote, Fulgence Bienvenüe, futur créateur du métro de Paris et Ferdinand Foch, le maréchal qui avait des attaches à Ploujean.
Le pont en X réalisé par Harel de la Noé au Mans est primé lors de l’Exposition universelle et soulève l’enthousiasme de Gustave Eiffel. Collection privée Franck Bourien
Un jeune homme de caractère
Lorsqu’éclate la guerre contre la Prusse en 1870, le jeune Harel de la Noë qui a du caractère, s’engage dans l’armée. Il rallie les francs-tireurs, puis un régiment d’artillerie à Bordeaux. Revenant par Paris avec son camarade Bienvenuë, originaire d’Uzel, il est même arrêté par les communards. En 1872, il intègre la prestigieuse École nationale des ponts et chaussées, dont il finit… avant-dernier. Harel de la Noë n’a que peu de goût pour les études pratiques et profite, sans doute, de sa nouvelle liberté.
Il est ensuite muté dans l’Aveyron et se distingue en sauvant plusieurs personnes lors d’une crue. Son oreille semble endommagée et son ouïe ne cessera de se détériorer au cours de sa carrière. En 1877, il est de retour en Bretagne et commence à travailler sur les voies de chemin de fer. En 1891, il réalise plusieurs ouvrages d’art pour les chemins de fer départementaux du Finistère. Puis, il part dans la Sarthe où il se fait remarquer par la réalisation d’un pont en X pour les lignes de trains et de tramways au Mans. L’ouvrage est primé lors de l’Exposition universelle et soulève l’enthousiasme de Gustave Eiffel.
Le viaduc de Souzin à Saint-Brieuc.Collection privée Franck Bourien
Les viaducs des Côtes-du-Nord
En 1901, il revient à Saint-Brieuc, alors qu’il aurait sans doute préféré Quimper. Le conseil général a de grandes ambitions pour développer un réseau de chemins de fer secondaire, afin de connecter les ports et les centres agricoles à la «grande» ligne Paris-Brest. Harel de la Noë a 50 ans et comprend qu’il s’agit du chantier de sa vie. Fier, autoritaire, mais innovant, indépendant et inventif, il rédige un rapport qui exalte les élus.
Il propose notamment de travailler en régie afin de réduire les coûts et de former le personnel aux dernières techniques, particulièrement au béton armé qu’il promeut. Harel de la Noë obtient une certaine liberté, particulièrement contre l’administration très centralisée des Ponts et chaussées. Il embauche une centaine d’agents et ne laisse au privé que les chantiers secondaires. En quelques années, il parvient à construire près de 200km de voies ferrées et une trentaine de viaducs et de ponts
Ferrociment et béton armé
Malgré les oppositions locales et parisiennes, Harel de la Noë défend l’emploi du « ferrociment », du ciment armé qui lui permet de diminuer les coûts et de réaliser des ouvrages d’art d’une élégance remarquable. Entourée de vallées encaissées, Saint-Brieuc se retrouve enfin reliée à son arrière-pays par de nouvelles portes d’entrée qui marquent encore aujourd’hui le paysage. Il bouleverse l’urbanisme de la préfecture. Reconvertie en restaurant universitaire, l’ancienne gare du réseau des Côtes-du-Nord témoigne de son talent d’architecte.
S’il a toute autonomie à ses débuts et si la résistance de ses ouvrages d’art suscite l’admiration, Harel de la Noë a plus de mal à imposer ses vues pour la deuxième phase du développement du réseau. Son mauvais caractère et sa surdité ne le favorisent guère lorsqu’il s’agit d’engager une nouvelle tranche de travaux pour 228 km et dix nouvelles lignes en 1912. Là encore, il innove en introduisant la technique de préfabrication. Sur les chantiers, on réalise des arcs et des poutres en béton dans des moules réutilisables. Les économies en argent et en temps sont considérables. Cette tranche de travaux sera terminée en 1918, année où Louis Harel de la Noë part à la retraite, à 66 ans, non sans maugréer, souvent à raison, sur les travaux ultérieurs réalisés sur ces ouvrages d’art.
Lui-même considérait qu’il «construisait pour cinquante ans», anticipant l’accroissement du trafic automobile et sous-estimant peut-être, mais la technique n’en était qu’à ses débuts, la durabilité du béton armé. C’est en tout cas le 31 décembre 1956 que le dernier train des Côtes-du-Nord sur la ligne Saint-Brieuc-Paimpol a fonctionné.
Le buste d'Alexandre Glais-Bizoin est conservé au musée d'Art et d'histoire de la ville de Saint-Brieuc. Photo Ville de Saint-Brieuc
Pour en savoir plus
- « Harel de la Noë, l’art des ouvrages », Yvon Rochard, ArMen n°155, novembre2006.
- « Harel de la Noë, un grand ingénieur breton », Collectif, Presses de l’École des ponts et chaussées, 2003.
- Site d’Ameno (Association pour la mémoire et la notoriété d’Harel de la Noë) à Trégueux : www.hareldelanoe.fr
- Site de l’Association Harel de la Noë à Hillion : www.hareldelanoe.org
- « Bretagne express ». L’exposition sur le train en Bretagne, visible jusqu’au 27 août au Musée de Bretagne à Rennes, consacre un large volet à Harel de la Noë : www.musee-bretagne.fr
en complément
Alexandre Glais-Bizoin, défenseur du chemin de fer en Bretagne
Ironie de l’histoire, le père de Louis Harel de la Noë a été élu au conseil municipal de Saint-Brieuc, en 1865, sur une liste d’opposition au républicain Alexandre Glais-Bizoin qui sera, toute sa vie, un ardent défenseur du chemin de fer en Bretagne. Avocat, il mène une vie politique ardente sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Classé à l’extrême-gauche pour l’époque, ce Briochin s’est distingué par ses combats pour la péréquation postale et l’arrivée du train en Bretagne.
Il a milité pour que la même taxe soit appliquée aux lettres, quelle que soit la distance, ce qui a entraîné une explosion des correspondances. Il a aussi bataillé, à coups d’amendements, pour que la région soit desservie par le train, notamment contre Thiers qui considérait ce moyen de transport comme « un amusement de savants ». Grâce à lui, la loi de 1842 qui ne prévoyait à l’origine qu’une ligne Lille-Paris-Marseille, le train va rayonner en étoile jusque Rennes et Nantes dans un premier temps.
Dans les années 1860, il arrive à Brest et Quimper, permettant le développement du tourisme, mais accentuant également l’exode rural vers Paris.
Le Télégramme
En haut, à gauche, Harel de la Noé assis. Collections École polytechnique
Ingénieur de talent, Harel de la Noë s’est illustré par l’emploi de techniques innovantes afin de développer le réseau secondaire du chemin de fer des Côtes-du-Nord. Il laisse plusieurs dizaines d’ouvrages d’art qui se distinguent par leur élégance.
C’est à Saint-Brieuc, préfecture des Côtes-du-Nord qui n’étaient pas encore d’Armor que naît, le 29 janvier 1852, Louis Harel de la Noë. Originaire de Normandie, son père est notaire, de tendance plutôt libérale. La famille habite rue des Promenades, face à un paysage que le futur ingénieur va profondément modifier.
Élève doué, le jeune Louis accumule les récompenses, notamment au lycée impérial (aujourd’hui lycée Anatole-Le-Braz), puis à Louis-Le-Grand qu’il rejoint en empruntant la nouvelle ligne de train, Paris-Brest, arrivée à Saint-Brieuc en 1863. Il intègre ensuite l’École polytechnique où il côtoie un compatriote, Fulgence Bienvenüe, futur créateur du métro de Paris et Ferdinand Foch, le maréchal qui avait des attaches à Ploujean.
Le pont en X réalisé par Harel de la Noé au Mans est primé lors de l’Exposition universelle et soulève l’enthousiasme de Gustave Eiffel. Collection privée Franck Bourien
Un jeune homme de caractère
Lorsqu’éclate la guerre contre la Prusse en 1870, le jeune Harel de la Noë qui a du caractère, s’engage dans l’armée. Il rallie les francs-tireurs, puis un régiment d’artillerie à Bordeaux. Revenant par Paris avec son camarade Bienvenuë, originaire d’Uzel, il est même arrêté par les communards. En 1872, il intègre la prestigieuse École nationale des ponts et chaussées, dont il finit… avant-dernier. Harel de la Noë n’a que peu de goût pour les études pratiques et profite, sans doute, de sa nouvelle liberté.
Il est ensuite muté dans l’Aveyron et se distingue en sauvant plusieurs personnes lors d’une crue. Son oreille semble endommagée et son ouïe ne cessera de se détériorer au cours de sa carrière. En 1877, il est de retour en Bretagne et commence à travailler sur les voies de chemin de fer. En 1891, il réalise plusieurs ouvrages d’art pour les chemins de fer départementaux du Finistère. Puis, il part dans la Sarthe où il se fait remarquer par la réalisation d’un pont en X pour les lignes de trains et de tramways au Mans. L’ouvrage est primé lors de l’Exposition universelle et soulève l’enthousiasme de Gustave Eiffel.
Le viaduc de Souzin à Saint-Brieuc.Collection privée Franck Bourien
Les viaducs des Côtes-du-Nord
En 1901, il revient à Saint-Brieuc, alors qu’il aurait sans doute préféré Quimper. Le conseil général a de grandes ambitions pour développer un réseau de chemins de fer secondaire, afin de connecter les ports et les centres agricoles à la «grande» ligne Paris-Brest. Harel de la Noë a 50 ans et comprend qu’il s’agit du chantier de sa vie. Fier, autoritaire, mais innovant, indépendant et inventif, il rédige un rapport qui exalte les élus.
Il propose notamment de travailler en régie afin de réduire les coûts et de former le personnel aux dernières techniques, particulièrement au béton armé qu’il promeut. Harel de la Noë obtient une certaine liberté, particulièrement contre l’administration très centralisée des Ponts et chaussées. Il embauche une centaine d’agents et ne laisse au privé que les chantiers secondaires. En quelques années, il parvient à construire près de 200km de voies ferrées et une trentaine de viaducs et de ponts
Ferrociment et béton armé
Malgré les oppositions locales et parisiennes, Harel de la Noë défend l’emploi du « ferrociment », du ciment armé qui lui permet de diminuer les coûts et de réaliser des ouvrages d’art d’une élégance remarquable. Entourée de vallées encaissées, Saint-Brieuc se retrouve enfin reliée à son arrière-pays par de nouvelles portes d’entrée qui marquent encore aujourd’hui le paysage. Il bouleverse l’urbanisme de la préfecture. Reconvertie en restaurant universitaire, l’ancienne gare du réseau des Côtes-du-Nord témoigne de son talent d’architecte.
S’il a toute autonomie à ses débuts et si la résistance de ses ouvrages d’art suscite l’admiration, Harel de la Noë a plus de mal à imposer ses vues pour la deuxième phase du développement du réseau. Son mauvais caractère et sa surdité ne le favorisent guère lorsqu’il s’agit d’engager une nouvelle tranche de travaux pour 228 km et dix nouvelles lignes en 1912. Là encore, il innove en introduisant la technique de préfabrication. Sur les chantiers, on réalise des arcs et des poutres en béton dans des moules réutilisables. Les économies en argent et en temps sont considérables. Cette tranche de travaux sera terminée en 1918, année où Louis Harel de la Noë part à la retraite, à 66 ans, non sans maugréer, souvent à raison, sur les travaux ultérieurs réalisés sur ces ouvrages d’art.
Lui-même considérait qu’il «construisait pour cinquante ans», anticipant l’accroissement du trafic automobile et sous-estimant peut-être, mais la technique n’en était qu’à ses débuts, la durabilité du béton armé. C’est en tout cas le 31 décembre 1956 que le dernier train des Côtes-du-Nord sur la ligne Saint-Brieuc-Paimpol a fonctionné.
Le buste d'Alexandre Glais-Bizoin est conservé au musée d'Art et d'histoire de la ville de Saint-Brieuc. Photo Ville de Saint-Brieuc
Pour en savoir plus
- « Harel de la Noë, l’art des ouvrages », Yvon Rochard, ArMen n°155, novembre2006.
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- Site d’Ameno (Association pour la mémoire et la notoriété d’Harel de la Noë) à Trégueux : www.hareldelanoe.fr
- Site de l’Association Harel de la Noë à Hillion : www.hareldelanoe.org
- « Bretagne express ». L’exposition sur le train en Bretagne, visible jusqu’au 27 août au Musée de Bretagne à Rennes, consacre un large volet à Harel de la Noë : www.musee-bretagne.fr
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Alexandre Glais-Bizoin, défenseur du chemin de fer en Bretagne
Ironie de l’histoire, le père de Louis Harel de la Noë a été élu au conseil municipal de Saint-Brieuc, en 1865, sur une liste d’opposition au républicain Alexandre Glais-Bizoin qui sera, toute sa vie, un ardent défenseur du chemin de fer en Bretagne. Avocat, il mène une vie politique ardente sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Classé à l’extrême-gauche pour l’époque, ce Briochin s’est distingué par ses combats pour la péréquation postale et l’arrivée du train en Bretagne.
Il a milité pour que la même taxe soit appliquée aux lettres, quelle que soit la distance, ce qui a entraîné une explosion des correspondances. Il a aussi bataillé, à coups d’amendements, pour que la région soit desservie par le train, notamment contre Thiers qui considérait ce moyen de transport comme « un amusement de savants ». Grâce à lui, la loi de 1842 qui ne prévoyait à l’origine qu’une ligne Lille-Paris-Marseille, le train va rayonner en étoile jusque Rennes et Nantes dans un premier temps.
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