1842. L'arrivée du train booste l'économie bretonne
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1842. L'arrivée du train booste l'économie bretonne
Publié le 12 mars 2017 à 10h00 SERGES ROGERS
La construction des ponts et viaducs a bouleversé le paysage breton. Ici, la Rampe de Rohanec’h à Saint-Brieuc avec au fond, le viaduc de Souzin et le port du Légué. Photo Claude Villetaneuse/Wikicommon
La compagnie des Chemins de fer de l’Ouest (Paris-Rennes- Brest) et la compagnie Paris-Orléans (Paris-Nantes-Quimper) ont très vite développé les billets de train à prix réduits pour les touristes. Photo DR/Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest
Au milieu du XIXe siècle, la Bretagne est en marge du reste de la France, un isolement rompu par l’arrivée du train : développement de l’agriculture et du tourisme, accélération de l’exode rural d’une partie de la population… Le chemin de fer va profondément et durablement transformer la région.
1842. Le gouvernement de la Monarchie de Juillet décide d’établir un réseau - depuis Paris - de grandes lignes de train. Louis-Philippe a compris l’importance du chemin de fer pour le développement industriel de la France. Si les régions du Nord et de l’Alsace sont privilégiées, la Bretagne est la grande oubliée de ce premier réseau, l’Ouest ne bénéficiant que de deux lignes : l’une vers Bordeaux, et l’autre vers Nantes.
Les hommes politiques locaux, soutenus par les milieux économiques, multiplient les demandes pour voir arriver ce moyen de transport révolutionnaire dans leur ville, synonyme de prospérité future. Il faut pourtant attendre l’avènement du Second Empire pour que le projet de développement des voies vers la Bretagne soit défini. Se pose alors un problème : par où faire passer la ligne ? Par le centre, ce qui permettrait de désenclaver le territoire ? Ou par le littoral, là où existent déjà les pôles économiques ? C’est finalement la deuxième option qui est choisie par Napoléon III. La Bretagne sera accessible par le nord via la ligne Paris-Brest. Le train arrive à Rennes en 1857, à Guingamp en 1863 et à Brest en 1865. Au sud, la ligne de Paris à Nantes - desservie dès 1851 - sera prolongée jusqu’à Quimper en 1863.
Le développement de l’agriculture
« Il s’agit d’ouvrir des marchés, de trouver, grâce à la vitesse des convois, des clientèles plus lointaines pour les produits de l’agriculture, de l’élevage [...] et surtout, ceux de la pêche, qui peuvent prétendre au marché parisien. Les ports bretons attendent également du chemin de fer qu’il leur permette d’entrer en concurrence avec les ports de la Manche et de l’Atlantique », expliquent les membres de l’association Rails et histoire, dans Bretagne Express, le livre de l’exposition éponyme qui se tient actuellement à Rennes.
En plus des deux lignes principales, le réseau local se développe dans les cinq départements, l’essor du chemin de fer ayant un impact considérable sur le territoire. En moins de trente ans, la Bretagne et ses paysans, jusque-là tournés vers une production avant tout vivrière, se transforment. « Dès 1865, les campagnes des environs de Brest et de Plougastel expédient vers Rennes de grandes quantités de pois verts et de fraises. Plus largement, la Bretagne contribue à nourrir Paris.
En 1890, 536 tonnes de viande bretonne arrivent aux halles centrales de la capitale », précise l’historien Jérôme Cucarull. Un commerce alimentaire d’autant plus favorisé par le transport frigorifique. « La naissance en 1906 de la Société des wagons et entrepôts frigorifiques de France à Rennes facilite le transport vers la capitale des produits de la pêche, de la viande et des primeurs », poursuit-il dans l’ouvrage.
L’exode rural
Saint-Pol-de-Léon se distingue même en devenant dès le début des années 1900 la première gare légumière du pays. Dans les années 1950, elle réalise 2 % des recettes globales de la SNCF avec le trafic de marchandises, envoyant jusqu’à 500 wagons par jour, avant que la concurrence du transport par camion ne prenne le dessus à partir des années 1960.
Pourtant, alors que l’arrivée du train amène un renouveau économique dans les campagnes bretonnes, elle accélère également l’exode rural dès la fin du XIXe siècle. Le chemin de fer a augmenté dès son arrivée l’attractivité des grands pôles économiques régionaux. Les déplacements ont été simplifiés, le chemin de fer permettant de voyager de ville en ville - jusqu’à Paris - pour chercher du travail. « Le train a facilité l’organisation de véritables transferts de population : des villages entiers sont ainsi transportés vers le territoire de l’actuelle Seine-Saint-Denis en 1906 », fait remarquer l’association Rails et histoire.
L’essor du tourisme
Des populations qui quittent la région, d’autres qui viennent en villégiature… L’arrivée du chemin de fer a aussi une autre conséquence : le développement du tourisme balnéaire à partir de la fin du XIXe siècle, « tant par la promotion de ses richesses naturelles et artistiques que par une offre de transport adaptée, axée principalement sur Paris, le plus important bassin de clients potentiels », écrit l’historien Bruno Carrière.
Les compagnies mettent en place des billets de « bains de mer » à prix réduits, et développent la réclame touristique pour ces nouvelles destinations, les « pittoresques » côtes et îles bretonnes, avant de proposer, à partir des années 1930, des excursions dans la Bretagne intérieure. L’arrivée massive des vacanciers transforme durablement les littoraux, avec la construction de grands lotissements balnéaires, dès les années 1880, plaçant dès cette époque la Bretagne comme l’une des régions les plus touristiques de France.
en complément
Un bouleversement des paysages
Dès son arrivée en Bretagne, le train a constitué, notamment dans les campagnes, une véritable révolution. Le peintre Lucien Pouëdras raconte, par exemple, comment son grand-père a vécu cet événement, dans son livre « La mémoire des Champs », publié en 2010 : « Mon grand-père, né en 1867, s’était fait accompagner pour le spectacle alors qu’il avait sept ans. Un tunnel perforait la colline séparant le Blavet de l’Ével . En débouchant de ce tunnel, le train, dans un bruit infernal, crachait une forte fumée.
Tantôt apprécié, il l’était pour se rendre au marché d’Hennebont, et critiqué de par sa pratique de la ligne droite qui mettait à mal le bocage (parcelle, chemins, sentiers). Respectueux des horaires, il était un indicateur utile . Quand il arrivait au nord, mon grand-père était attentif à l’intensité du bruit qu’il faisait. Il mesurait ainsi l’évolution des vents passant de la mer à l’est ».
Une fois construit, le chemin de fer bouleverse les sens : le bruit et la vapeur des locomotives, la construction des passages à niveau, ponts et viaducs qui redessinent le paysage… « Terre ferroviaire, la Bretagne offre, par la nature même de son relief, l’occasion de considérer des ouvrages d’art parmi les plus remarquables que l’on puisse trouver en France », explique dans Bretagne Express, l’historien Lionel Dufaux.
Entre 1890 et 1945, le territoire breton se dote de plusieurs centaines d’ouvrages d’art et de 626 gares. En ville, ces dernières prennent des proportions majestueuses, avec de grands halls et une architecture moderne pour l’époque, faisant appel à la pierre, mais aussi à de nouveaux matériaux comme l’acier, le verre ou le béton. Le paysage urbain se voit lui aussi modifié, avec l’apparition de nouveaux quartiers construits autour de ces pôles d’attractivité économique.
Le Télégramme
La construction des ponts et viaducs a bouleversé le paysage breton. Ici, la Rampe de Rohanec’h à Saint-Brieuc avec au fond, le viaduc de Souzin et le port du Légué. Photo Claude Villetaneuse/Wikicommon
La compagnie des Chemins de fer de l’Ouest (Paris-Rennes- Brest) et la compagnie Paris-Orléans (Paris-Nantes-Quimper) ont très vite développé les billets de train à prix réduits pour les touristes. Photo DR/Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest
Au milieu du XIXe siècle, la Bretagne est en marge du reste de la France, un isolement rompu par l’arrivée du train : développement de l’agriculture et du tourisme, accélération de l’exode rural d’une partie de la population… Le chemin de fer va profondément et durablement transformer la région.
1842. Le gouvernement de la Monarchie de Juillet décide d’établir un réseau - depuis Paris - de grandes lignes de train. Louis-Philippe a compris l’importance du chemin de fer pour le développement industriel de la France. Si les régions du Nord et de l’Alsace sont privilégiées, la Bretagne est la grande oubliée de ce premier réseau, l’Ouest ne bénéficiant que de deux lignes : l’une vers Bordeaux, et l’autre vers Nantes.
Les hommes politiques locaux, soutenus par les milieux économiques, multiplient les demandes pour voir arriver ce moyen de transport révolutionnaire dans leur ville, synonyme de prospérité future. Il faut pourtant attendre l’avènement du Second Empire pour que le projet de développement des voies vers la Bretagne soit défini. Se pose alors un problème : par où faire passer la ligne ? Par le centre, ce qui permettrait de désenclaver le territoire ? Ou par le littoral, là où existent déjà les pôles économiques ? C’est finalement la deuxième option qui est choisie par Napoléon III. La Bretagne sera accessible par le nord via la ligne Paris-Brest. Le train arrive à Rennes en 1857, à Guingamp en 1863 et à Brest en 1865. Au sud, la ligne de Paris à Nantes - desservie dès 1851 - sera prolongée jusqu’à Quimper en 1863.
Le développement de l’agriculture
« Il s’agit d’ouvrir des marchés, de trouver, grâce à la vitesse des convois, des clientèles plus lointaines pour les produits de l’agriculture, de l’élevage [...] et surtout, ceux de la pêche, qui peuvent prétendre au marché parisien. Les ports bretons attendent également du chemin de fer qu’il leur permette d’entrer en concurrence avec les ports de la Manche et de l’Atlantique », expliquent les membres de l’association Rails et histoire, dans Bretagne Express, le livre de l’exposition éponyme qui se tient actuellement à Rennes.
En plus des deux lignes principales, le réseau local se développe dans les cinq départements, l’essor du chemin de fer ayant un impact considérable sur le territoire. En moins de trente ans, la Bretagne et ses paysans, jusque-là tournés vers une production avant tout vivrière, se transforment. « Dès 1865, les campagnes des environs de Brest et de Plougastel expédient vers Rennes de grandes quantités de pois verts et de fraises. Plus largement, la Bretagne contribue à nourrir Paris.
En 1890, 536 tonnes de viande bretonne arrivent aux halles centrales de la capitale », précise l’historien Jérôme Cucarull. Un commerce alimentaire d’autant plus favorisé par le transport frigorifique. « La naissance en 1906 de la Société des wagons et entrepôts frigorifiques de France à Rennes facilite le transport vers la capitale des produits de la pêche, de la viande et des primeurs », poursuit-il dans l’ouvrage.
L’exode rural
Saint-Pol-de-Léon se distingue même en devenant dès le début des années 1900 la première gare légumière du pays. Dans les années 1950, elle réalise 2 % des recettes globales de la SNCF avec le trafic de marchandises, envoyant jusqu’à 500 wagons par jour, avant que la concurrence du transport par camion ne prenne le dessus à partir des années 1960.
Pourtant, alors que l’arrivée du train amène un renouveau économique dans les campagnes bretonnes, elle accélère également l’exode rural dès la fin du XIXe siècle. Le chemin de fer a augmenté dès son arrivée l’attractivité des grands pôles économiques régionaux. Les déplacements ont été simplifiés, le chemin de fer permettant de voyager de ville en ville - jusqu’à Paris - pour chercher du travail. « Le train a facilité l’organisation de véritables transferts de population : des villages entiers sont ainsi transportés vers le territoire de l’actuelle Seine-Saint-Denis en 1906 », fait remarquer l’association Rails et histoire.
L’essor du tourisme
Des populations qui quittent la région, d’autres qui viennent en villégiature… L’arrivée du chemin de fer a aussi une autre conséquence : le développement du tourisme balnéaire à partir de la fin du XIXe siècle, « tant par la promotion de ses richesses naturelles et artistiques que par une offre de transport adaptée, axée principalement sur Paris, le plus important bassin de clients potentiels », écrit l’historien Bruno Carrière.
Les compagnies mettent en place des billets de « bains de mer » à prix réduits, et développent la réclame touristique pour ces nouvelles destinations, les « pittoresques » côtes et îles bretonnes, avant de proposer, à partir des années 1930, des excursions dans la Bretagne intérieure. L’arrivée massive des vacanciers transforme durablement les littoraux, avec la construction de grands lotissements balnéaires, dès les années 1880, plaçant dès cette époque la Bretagne comme l’une des régions les plus touristiques de France.
en complément
Un bouleversement des paysages
Dès son arrivée en Bretagne, le train a constitué, notamment dans les campagnes, une véritable révolution. Le peintre Lucien Pouëdras raconte, par exemple, comment son grand-père a vécu cet événement, dans son livre « La mémoire des Champs », publié en 2010 : « Mon grand-père, né en 1867, s’était fait accompagner pour le spectacle alors qu’il avait sept ans. Un tunnel perforait la colline séparant le Blavet de l’Ével . En débouchant de ce tunnel, le train, dans un bruit infernal, crachait une forte fumée.
Tantôt apprécié, il l’était pour se rendre au marché d’Hennebont, et critiqué de par sa pratique de la ligne droite qui mettait à mal le bocage (parcelle, chemins, sentiers). Respectueux des horaires, il était un indicateur utile . Quand il arrivait au nord, mon grand-père était attentif à l’intensité du bruit qu’il faisait. Il mesurait ainsi l’évolution des vents passant de la mer à l’est ».
Une fois construit, le chemin de fer bouleverse les sens : le bruit et la vapeur des locomotives, la construction des passages à niveau, ponts et viaducs qui redessinent le paysage… « Terre ferroviaire, la Bretagne offre, par la nature même de son relief, l’occasion de considérer des ouvrages d’art parmi les plus remarquables que l’on puisse trouver en France », explique dans Bretagne Express, l’historien Lionel Dufaux.
Entre 1890 et 1945, le territoire breton se dote de plusieurs centaines d’ouvrages d’art et de 626 gares. En ville, ces dernières prennent des proportions majestueuses, avec de grands halls et une architecture moderne pour l’époque, faisant appel à la pierre, mais aussi à de nouveaux matériaux comme l’acier, le verre ou le béton. Le paysage urbain se voit lui aussi modifié, avec l’apparition de nouveaux quartiers construits autour de ces pôles d’attractivité économique.
Le Télégramme
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