Bretagne : les femmes dans la Résistance, ces combattantes de l’ombre
Page 1 sur 1
Bretagne : les femmes dans la Résistance, ces combattantes de l’ombre
Leur rôle a été banalisé, oublié... Pourtant, bien des femmes ont pris des risques contre l'occupant, durant la Seconde guerre mondiale, en Bretagne. Un livre leur rend hommage.
Germaine Quoniam, à droite du cliché, était infirmière à Dinan (Côtes d’Armor) et résistante au sein du Réseau du Musée de l’Homme. Elle a permis l’évasion de nombreux prisonniers. Elle est ici décorée par le général Philippe Leclerc de Hauteclocque le 15 septembre 1946. (Coll. Bibliothèque municipale de Dinan).
À quelques exceptions près, les Résistantes bretonnes sont restées dans l’ombre. Jusqu’à maintenant, les historiens ne s’étaient jamais vraiment intéressées à leur rôle durant la Seconde guerre mondiale.
Une lacune aujourd’hui réparée par Isabelle Le Boulanger, docteure en histoire contemporaine et déjà auteure de plusieurs ouvrages sur les femmes en Bretagne.
« Il n’y avait pas de synthèse sur les Résistantes bretonnes », explique l’intéressée. Longtemps, « on a pensé que le rôle des femmes avait été complètement banal ».
« Depuis les années 80, le regard change, mais c’est lent. »
« Je n’ai pas fait grand-chose »
Pour son livre paru à la fin de l’année 2018, l’historienne s’est appuyée sur un corpus d’études malheureusement non exhaustif, mais dont la fiabilité ne souffre aucun doute : les dossiers de demande de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance (CVR), conservés aux Archives départementales.
Isabelle Le Boulanger en a dépouillé 1.173, dont 303 pour les Côtes d’Armor.
Ce qui l’a le plus surprise en les lisant ?
« L’abnégation, le désintéressement des femmes. Cela se sent dans les courriers qu’elles envoient. « Je n’ai pas fait grand-chose », disent-elles. C’est typiquement féminin : elles ont tendance à minimiser leurs actions. »
D’ailleurs, certaines n’ont demandé leur carte que très tardivement, à la mort de leur mari par exemple, ou sur l’insistance de leurs enfants.
« Les critères d’obtention de la carte CVR ont été établis exclusivement par des hommes. Ils ont mis en avant la résistance armée. C’est pour cela que les femmes ont eu du mal à s’identifier au mot « combattant ». »
La Dinannaise Franciska Le Meaux (née Le Diguerher) n’avait que 18 ans lors qu’elle est devenue agent de liaison dans la résistance. La voici en 2011, lorsqu’elle a reçu la Légion d’Honneur. (Archives / Le Petit Bleu des Côtes d’Armor)
201 Bretonnes déportées
La postérité n’a retenu que les « martyres », parmi les 201 Bretonnes qui ont été déportées, les 33 qui n’en sont pas revenues.
« Celles qui n’ont pas directement subi la répression nazie sont reléguées dans l’ombre. »
Toutes, pourtant, ont bousculé « l’ordre établi » par leur engagement qu’Isabelle Le Boulanger qualifie « d’hors norme ». Elles n’en avaient pas forcément conscience, mais « les résistantes ont transgressé non seulement les lois en vigueur mais également les lois tacites de ce que « doit » être une femme », écrit l’auteure.
Elles se sont effacées derrière leur mari
Il faut rappeler qu’avant Guerre, les femmes étaient mineures à vie, marginalisées de la vie publique.
Elles disent avoir résisté « par devoir » et sont promptes à s’effacer derrière l’engagement de leur époux. Ceux-ci, d’ailleurs, n’ont pas toujours réalisé ce qu’elles avaient fait pour la Résistance.
C’étaient pourtant bien elles qui permettaient d’héberger, de nourrir des clandestins, réfractaires au Service du Travail Obligatoire, maquisards, aviateurs alliés ou prisonnier évadé
La Briochine Mireille Chrisostome avait 20 ans, en 1944, lorsqu’elle a été torturée, massacrée, pendue à un crochet de boucher et abandonnée dans une fosse en forêt de Lorge. Elle avait été arrêtée lors d’un convoyage. Elle connaissait de nombreux responsables de la Résistance dans le Département mais n’a livré aucun nom.
Elles ont pris des risques
Des risques, elles ont pris. Elles ont distribué des journaux clandestins, fabriqué de fausses cartes d’identité, fournit des renseignements. Elles ont assuré le transport d’armes et de munitions, de documents compromettants, etc.
« Quel courage elles ont eu ! C’est pourquoi j’ai voulu faire figurer leurs noms à toutes. »
« Des enfants en larmes »
Ainsi le livre d’Isabelle Le Boulanger fait œuvre d’histoire mais aussi d’hommage à toutes ces Résistantes. Cela a d’ailleurs suscité des réactions :
« J’ai eu des enfants, des petits-enfants, en larmes. Ils étaient émus ou étonnés de voir le nom de leur mère ou de leur grand-mère figurer dans un livre d’histoire. Des libraires, aussi, m’ont dit qu’ils avaient eu des réactions similaires. »
Sujet sensible
Le prochain livre de l’universitaire, lui aussi, risque de beaucoup émouvoir :
« Je vais aborder un sujet très sensible : les histoires d’amour entre Bretonnes et soldats allemands. J’ai retrouvé certains de leurs enfants, qui ont accepté de témoigner. »
« Bretonnes et Résistantes 1940 – 1944 », approche socio-historique d’un engagement hors norme, par Isabelle Le Boulanger. Edité chez Coop Breizh. 420 p. 24,90€.
Henriette Bergemann a agi au nez et à la barbe des Allemands
Henriette Bergemann (1902-1961), née Piro, propriétaire de l’Hôtel de Paris et d’Angleterre à Dinan, a été arrêtée avec son mari, Walter Bergemann, et son amie et employée, Suzanne Delcorte, dans la nuit du 8 au 9 mai 1944, pour acte de résistance ( Coll. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine.)
Henriette Bergemann, née Piro, tenait l’Hôtel de Paris et d’Angleterre, rue Thiers, à Dinan (Côtes d’Armor). Comme son mari Walter Bergemann, ressortissant allemand, et Suzanne Delcorte, son amie et employée, elle a été agent de renseignement du réseau Centurie, puis du groupe Jade-Amicol.
Un trio singulier de la résistance dinannaise, auquel Jean-Claude Cloarec a dédié un passionnant article dans Le Pays de Dinan 2017.
Son hôtel était occupé par les Allemands
Alors même que son hôtel était réquisitionné et occupé par les Allemands, Henriette Bergemann y a hébergé des réfractaires au STO, recueilli des renseignements qu’elle transmet à l’Etat-major interallié ou à la Résistance.
En octobre 1943, elle a caché quatre aviateurs américains pendant plusieurs semaines, avant de leur fournir de fausses cartes d’identité.
Les époux Bergemann et Suzanne Delcorte ont été des agents précieux. Leurs activités de renseignements, pourtant effectuées au nez et à la barbe des Allemands, n’ont jamais été mises au jour.
Arrêtés et incarcérés
S’ils ont tous trois été arrêtés dans la nuit du 8 au 9 mai 1944, c’est pour avoir mis en sécurité « un patriote » qui avait échappé à la Gestapo. Ils ont été incarcérés à la prison de Rennes.
Les forces alliées approchant, les Allemands se sont mis à vider les prisons, au début du mois d’août.
« Environ 900 personnes, dont 250 femmes, sont entassées à 40, voire 60, dans les wagons à bestiaux d’un train stationné à La Prévalaye. »
Le convoi part pour l’Allemagne, mais n’ira pas plus loin que Langeais où « le pont ferré qui traverse la Loire a été détruit par l’aviation alliée ».
Dans le désordre et la confusion, les Allemands libèrent des prisonniers, dont les trois Dinannais. Auxquels la Croix de Guerre sera décernée, en 1946 et 1947.
Source : « Henriette Piro, Walter Bergemann et Suzanne Delcorte : trois héros de l’ombre », par Jean-Claude Cloarec in Le Pays de Dinan 2017.
https://actu.fr/bretagne/dinan_22050/bretagne-femmes-dans-resistance-combattantes-lombre_23617292.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0u3TLl2ASCaKcd7R42S1p-4QuvAwLoCqAuOS46gUTpbo44Yf-25sB9P_s#Echobox=1559031185
Germaine Quoniam, à droite du cliché, était infirmière à Dinan (Côtes d’Armor) et résistante au sein du Réseau du Musée de l’Homme. Elle a permis l’évasion de nombreux prisonniers. Elle est ici décorée par le général Philippe Leclerc de Hauteclocque le 15 septembre 1946. (Coll. Bibliothèque municipale de Dinan).
À quelques exceptions près, les Résistantes bretonnes sont restées dans l’ombre. Jusqu’à maintenant, les historiens ne s’étaient jamais vraiment intéressées à leur rôle durant la Seconde guerre mondiale.
Une lacune aujourd’hui réparée par Isabelle Le Boulanger, docteure en histoire contemporaine et déjà auteure de plusieurs ouvrages sur les femmes en Bretagne.
« Il n’y avait pas de synthèse sur les Résistantes bretonnes », explique l’intéressée. Longtemps, « on a pensé que le rôle des femmes avait été complètement banal ».
« Depuis les années 80, le regard change, mais c’est lent. »
« Je n’ai pas fait grand-chose »
Pour son livre paru à la fin de l’année 2018, l’historienne s’est appuyée sur un corpus d’études malheureusement non exhaustif, mais dont la fiabilité ne souffre aucun doute : les dossiers de demande de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance (CVR), conservés aux Archives départementales.
Isabelle Le Boulanger en a dépouillé 1.173, dont 303 pour les Côtes d’Armor.
Ce qui l’a le plus surprise en les lisant ?
« L’abnégation, le désintéressement des femmes. Cela se sent dans les courriers qu’elles envoient. « Je n’ai pas fait grand-chose », disent-elles. C’est typiquement féminin : elles ont tendance à minimiser leurs actions. »
D’ailleurs, certaines n’ont demandé leur carte que très tardivement, à la mort de leur mari par exemple, ou sur l’insistance de leurs enfants.
« Les critères d’obtention de la carte CVR ont été établis exclusivement par des hommes. Ils ont mis en avant la résistance armée. C’est pour cela que les femmes ont eu du mal à s’identifier au mot « combattant ». »
La Dinannaise Franciska Le Meaux (née Le Diguerher) n’avait que 18 ans lors qu’elle est devenue agent de liaison dans la résistance. La voici en 2011, lorsqu’elle a reçu la Légion d’Honneur. (Archives / Le Petit Bleu des Côtes d’Armor)
201 Bretonnes déportées
La postérité n’a retenu que les « martyres », parmi les 201 Bretonnes qui ont été déportées, les 33 qui n’en sont pas revenues.
« Celles qui n’ont pas directement subi la répression nazie sont reléguées dans l’ombre. »
Toutes, pourtant, ont bousculé « l’ordre établi » par leur engagement qu’Isabelle Le Boulanger qualifie « d’hors norme ». Elles n’en avaient pas forcément conscience, mais « les résistantes ont transgressé non seulement les lois en vigueur mais également les lois tacites de ce que « doit » être une femme », écrit l’auteure.
Elles se sont effacées derrière leur mari
Il faut rappeler qu’avant Guerre, les femmes étaient mineures à vie, marginalisées de la vie publique.
Elles disent avoir résisté « par devoir » et sont promptes à s’effacer derrière l’engagement de leur époux. Ceux-ci, d’ailleurs, n’ont pas toujours réalisé ce qu’elles avaient fait pour la Résistance.
C’étaient pourtant bien elles qui permettaient d’héberger, de nourrir des clandestins, réfractaires au Service du Travail Obligatoire, maquisards, aviateurs alliés ou prisonnier évadé
La Briochine Mireille Chrisostome avait 20 ans, en 1944, lorsqu’elle a été torturée, massacrée, pendue à un crochet de boucher et abandonnée dans une fosse en forêt de Lorge. Elle avait été arrêtée lors d’un convoyage. Elle connaissait de nombreux responsables de la Résistance dans le Département mais n’a livré aucun nom.
Elles ont pris des risques
Des risques, elles ont pris. Elles ont distribué des journaux clandestins, fabriqué de fausses cartes d’identité, fournit des renseignements. Elles ont assuré le transport d’armes et de munitions, de documents compromettants, etc.
« Quel courage elles ont eu ! C’est pourquoi j’ai voulu faire figurer leurs noms à toutes. »
« Des enfants en larmes »
Ainsi le livre d’Isabelle Le Boulanger fait œuvre d’histoire mais aussi d’hommage à toutes ces Résistantes. Cela a d’ailleurs suscité des réactions :
« J’ai eu des enfants, des petits-enfants, en larmes. Ils étaient émus ou étonnés de voir le nom de leur mère ou de leur grand-mère figurer dans un livre d’histoire. Des libraires, aussi, m’ont dit qu’ils avaient eu des réactions similaires. »
Sujet sensible
Le prochain livre de l’universitaire, lui aussi, risque de beaucoup émouvoir :
« Je vais aborder un sujet très sensible : les histoires d’amour entre Bretonnes et soldats allemands. J’ai retrouvé certains de leurs enfants, qui ont accepté de témoigner. »
« Bretonnes et Résistantes 1940 – 1944 », approche socio-historique d’un engagement hors norme, par Isabelle Le Boulanger. Edité chez Coop Breizh. 420 p. 24,90€.
Henriette Bergemann a agi au nez et à la barbe des Allemands
Henriette Bergemann (1902-1961), née Piro, propriétaire de l’Hôtel de Paris et d’Angleterre à Dinan, a été arrêtée avec son mari, Walter Bergemann, et son amie et employée, Suzanne Delcorte, dans la nuit du 8 au 9 mai 1944, pour acte de résistance ( Coll. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine.)
Henriette Bergemann, née Piro, tenait l’Hôtel de Paris et d’Angleterre, rue Thiers, à Dinan (Côtes d’Armor). Comme son mari Walter Bergemann, ressortissant allemand, et Suzanne Delcorte, son amie et employée, elle a été agent de renseignement du réseau Centurie, puis du groupe Jade-Amicol.
Un trio singulier de la résistance dinannaise, auquel Jean-Claude Cloarec a dédié un passionnant article dans Le Pays de Dinan 2017.
Son hôtel était occupé par les Allemands
Alors même que son hôtel était réquisitionné et occupé par les Allemands, Henriette Bergemann y a hébergé des réfractaires au STO, recueilli des renseignements qu’elle transmet à l’Etat-major interallié ou à la Résistance.
En octobre 1943, elle a caché quatre aviateurs américains pendant plusieurs semaines, avant de leur fournir de fausses cartes d’identité.
Les époux Bergemann et Suzanne Delcorte ont été des agents précieux. Leurs activités de renseignements, pourtant effectuées au nez et à la barbe des Allemands, n’ont jamais été mises au jour.
Arrêtés et incarcérés
S’ils ont tous trois été arrêtés dans la nuit du 8 au 9 mai 1944, c’est pour avoir mis en sécurité « un patriote » qui avait échappé à la Gestapo. Ils ont été incarcérés à la prison de Rennes.
Les forces alliées approchant, les Allemands se sont mis à vider les prisons, au début du mois d’août.
« Environ 900 personnes, dont 250 femmes, sont entassées à 40, voire 60, dans les wagons à bestiaux d’un train stationné à La Prévalaye. »
Le convoi part pour l’Allemagne, mais n’ira pas plus loin que Langeais où « le pont ferré qui traverse la Loire a été détruit par l’aviation alliée ».
Dans le désordre et la confusion, les Allemands libèrent des prisonniers, dont les trois Dinannais. Auxquels la Croix de Guerre sera décernée, en 1946 et 1947.
Source : « Henriette Piro, Walter Bergemann et Suzanne Delcorte : trois héros de l’ombre », par Jean-Claude Cloarec in Le Pays de Dinan 2017.
https://actu.fr/bretagne/dinan_22050/bretagne-femmes-dans-resistance-combattantes-lombre_23617292.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0u3TLl2ASCaKcd7R42S1p-4QuvAwLoCqAuOS46gUTpbo44Yf-25sB9P_s#Echobox=1559031185
Sujets similaires
» La Bretagne dans la guerre
» Nous vivons dans une société qui enseigne aux femmes
» À nouveau, hommage et honneur aux nombreuses femmes qui s'engagèrent dans la résistance
» Voici les 15 prénoms de femmes les plus courants dans des asiles ! Votre prénom est-il sur la liste ?
» Centenaire de la Grande Guerre. L'autre guerre, celle des femmes restées en Bretagne
» Nous vivons dans une société qui enseigne aux femmes
» À nouveau, hommage et honneur aux nombreuses femmes qui s'engagèrent dans la résistance
» Voici les 15 prénoms de femmes les plus courants dans des asiles ! Votre prénom est-il sur la liste ?
» Centenaire de la Grande Guerre. L'autre guerre, celle des femmes restées en Bretagne
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum