L’étonnant destin de Robert Benoist, champion du monde auto et héros de la Résistance

Par Guillaume NÉDÉLEC
En 1927, le pilote français Robert Benoist devenait le premier champion automobile tricolore avec Delage. Vainqueur des 24 Heures du Mans avec Bugatti, il sera, pendant la guerre, un agent secret des services britanniques, et un des acteurs de la Résistance.

Il n’est probablement pas le pilote le plus connu de l’histoire de l’automobile, pourtant, le destin de Robert Benoist, premier champion du monde automobile français, est teinté d’héroïsme et de surprise. Né en 1895, ce francilien, fils du garde-chasse de la famille Rothschild, travaille dès ses 13 ans comme mécanicien. En 1915, à 20 ans, il est incorporé dans l’armée, où il devient pilote d’avion, puis instructeur. C’est à ce moment que son intérêt pour les sports mécaniques se développe.

Lorsque le conflit mondial s’arrête, Benoist est en manque des sensations de vitesse. La course automobile, elle, se démocratise, avec les Grand Prix, et des constructeurs très présents, comme Bugatti, Delage, Bentley ou Alfa Romeo. Cette compétition lui permet de retrouver la vitesse qui l’attire. En 1920, il est engagé comme metteur au point de cyclecar, les petites voitures de course de l’époque, chez de Marçay. L’année suivante, il débute dans cette catégorie, avec à la clé une 8e place lors de la course Paris-Nice

Robert Benoist, lors de ses premières courses, sur Salmson. (Photo : BNF / Gallica)

Il rentre alors chez Salmson, ou il continue à courir en cyclecar. Il se démarque rapidement de ses équipiers, en remportant quelques succès et terminant 2e au Bol d’or en 1922.

Il devient un élément majeur de l’écurie, et concrétise ses efforts en 1923 avec des victoires à Monza, au Bol d’or ou encore en Espagne. Des performances qui le font remarquer par l’écurie Delage, qui fait son grand retour en compétition.

Les débuts en Grand Prix

Louis Delage est séduit par ce jeune pilote, élégant, plutôt téméraire, qui lui semble être un parfait ambassadeur de la marque. Il court en début de saison en course de côte, remportant pratiquement la victoire à chaque course, et se voit également aligné en Grand Prix à l’occasion du Grand Prix de l’ACF (Automobile Club de France), à Lyon. Il tient ses promesses termine 3e de sa première course à ce niveau. Il est également au départ du Grand Prix de San Sebastián, mais sort de la route alors qu’il est en tête.

L’année suivante, il remporte sa première victoire lors du Grand Prix de l’ACF sur le circuit de Montlhéry. Une course endeuillée par l’accident mortel de Tazio Nuvolari.


Robert Benoist, en 1925, sur Delage. (Photo : BNF / Gallica)

Benoist marque les esprits en allant déposer sa gerbe de vainqueur à l’endroit de l’accident. Dès lors, le Francilien devient l’un des pilotes les plus populaires de son temps.

En 1926, le règlement Grand Prix change, et Delage en profite pour développer la 15 S8. Une auto qui se voudra très en avance sur la concurrence. En attendant, l’écurie participe à la très populaire course Italienne : la Targa Florio. Cependant, la course tourne au cauchemar pour l’écurie Française. Masetti, pilote de la Delage n° 13, sort de la route après un problème de direction, et se blesse gravement. Si Benoist s’arrête pour porter secours à son équipier, l’Italien décède de ses blessures et Delage se retire de la course. Pour l’histoire, c’est après cet accident, associé à celui de Torchy et Lasarte en 1925 que le n° 13 ne sera plus attribué en course.

Champion du monde !

Après cette course difficile, la 15 S8 apparaît sur les pistes. Il s’agit d’une voiture particulièrement performante, qui annonce les dessins des futures voitures de Grand Prix. Elle profite d’un centre de gravité très bas, ce qui dénote avec les autos de l’époque. Et son moteur huit cylindres très performant.

Si la voiture fait très vite preuve d’une remarquable efficacité, elle a un gros défaut. Les échappements dégagent une chaleur insoutenable, et sont placés… du côté du pilote. C’est ainsi que la victoire est perdue au Grand Prix d’Europe
La Delage 15 S8, en action. (Photo : DR)

Pour 1927, le défaut est corrigé. La voiture fait un carton. En quatre courses, elle remporte quatre victoires : Brooklands, Montlhéry, San Sebastian et Monza.

Robert Benoist est à chaque fois au volant, et remporte pour Delage le titre de champion du monde des constructeurs. De son côté, le pilote est sacré officieusement « Champion du monde ». Officieusement seulement, car le championnat pilote n’existe pas à l’époque.

Seulement, à la fin de la saison, Delage annonce son retrait de la compétition. La marque a dépensé un peu trop d’argent sur cette 15 S8, et se retrouve en difficulté. Benoist se retire alors de la compétition, devient directeur d’un garage, mais participe cependant ponctuellement à quelques courses avec Bugatti, et s’aligne à plusieurs reprises aux 24 heures du Mans

Robert Benoist, sur la Delage 15 S8 de 1927, à Montlhéry. (Photo : BNF / Gallica)

L’aventure Bugatti

C’est en 1934 que sa carrière sportive reprend. Il rejoint officiellement les rangs de l’écurie Bugatti, en tant que pilote, mais aussi comme responsable du département sportif. En Grand Prix, la concurrence allemande est rude, et les pilotes des voitures bleues ne peuvent se battre pour la victoire au général.

Il faut dire que le gouvernement nazi de l’époque n’hésite pas à subventionner les marques allemandes engagées, à des fins de propagande mais aussi de développement technique. Bugatti, beaucoup moins riche, ne peut tenir le rythme.

Bugatti se décide alors à gagner les 24 Heures du Mans. Et Benoist prend le projet en main, présentant une voiture très moderne pour l’époque, le fameux « Tank » Bugatti.

Si en 1936, les manifestations du Front Populaire causent l’annulation des 24 Heures du Mans, en 1937, celle-ci à bien lieu. Benoist est engagé avec Jean-Pierre Wimille, un jeune pilote prometteur. L’équipage remporte la course dans des conditions difficiles, et Benoist en profite pour mettre un terme définitif à sa carrière sportive. Il continue d’officier chez Bugatti, tandis que les tensions montent en Europe

La Bugatti de Robert Benoist en 1937, aux 24 Heures du Mans. (Photo : Bugatti)

Robert Benoist au volant de la Bugatti Type 57 G, lauréate du Mans en 1937. (Photo : Bugatti)

Ancien pilote et… résistant

Après sa carrière de pilote de chasse durant la Grande Guerre, Benoist est resté officier de réserve dans l’armée de l’air. En 1940, il est mobilisé au Bourget, et ne quitte son poste que lors de l’entrée des Allemands dans Paris. Tandis qu’il descend vers le sud avec sa Bugatti, il se fait arrêter par un officier allemand qui semble particulièrement intéressé par sa voiture. Il arrive cependant à s’échapper de cette mauvaise passe.

Très vite, cependant, il rejoint alors la résistance avec Jean-Pierre Wimille, ainsi qu’un autre pilote William Grover « Williams », et est rapidement rattaché aux Special Operations Executive (SOE) en tant qu’agent secret. Il gère notamment le parachutage d’armes et de munitions. Son réseau est une première fois démantelé par la Gestapo durant l’été 1943, causant l’arrestation de son épouse, son père ainsi que William Grover-William. Il sera exécuté à Sachsenhausen peu après.

Il rentre à Londres, avant de revenir dès l’automne près de Nantes. Son objectif est alors de faire sauter les pylônes électriques reliant les Pyrénées et la Bretagne et d’attaquer le réseau ferroviaire autour de Nantes.

L’arrestation de son opérateur radio l’oblige à rentrer à Londres, mais il fait son retour dès le mois de mars en France, toujours avec le même objectif, accompagné de Denise Bloch, son courrier, également agent du SEO. Il rétablit notamment le contact avec Jean-Pierre Wimille.
William Grover William sur sa Bugatti, à Monaco, en 1929. (Photo : Bugatti)

Jean-Pierre Wimille fut le seul du réseau « Clergyman » a s’échapper, en 1944. (Photo : Bugatti)

Tout s’arrête cependant le 18 juin 1944. Alors qu’il rend visite à sa mère mourante, il est arrêté par la Gestapo. Denise Bloch et l’épouse de Jean-Pierre Wimille seront aussi arrêtées. Wimille, arrive, lui, à s’échapper. Son épouse sera également sauvée, quelques semaines plus tard.

Benoist est envoyé à Buchenwald où il sera pendu le 9 septembre. Denise Bloch, elle, sera exécutée à Ravensbrück, en février 1945.

Jean-Pierre Wimille sera le dernier survivant de cette période, et reprendra sa carrière, après la guerre. Membre de l’équipe Alfa Romeo, il devait participer au premier championnat du monde de F1, en 1950. Et faisait partie des favoris. Un accident, en Argentine, en janvier 1949, sur une Simca-Gordini, causera sa disparition.

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