LA BÊTE à MAîT' BELHOMME....................GUY DE MAUPASSANT
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LA BÊTE à MAîT' BELHOMME....................GUY DE MAUPASSANT
On se tut d’abord, par respect pour le curé, qui gênait les épanchements. Il se mit à parler le premier, étant d’un caractère loquace et familier.
— Eh bien, maît’ Caniveau, dit-il, ça va-t-il comme vous voulez ?
L’énorme campagnard, qu’une sympathie de taille, d’encolure et de ventre liait avec l’ecclésiastique, répondit en souriant :
— Tout d’ même, m’sieu l’ curé, tout d’ même, et d’ vote part ?
— Oh ! d’ ma part, ça va toujours.
— Et vous, maît’ Poiret ? demanda l’abbé.
— Oh ! mé, ça irait, n’étaient les cossards (colzas) qui n’ donneront guère c’t’ année ; et, vu les affaires, c’est là-dessus qu’on s’ rattrape.
— Que voulez-vous, les temps sont durs.
— Que oui, qu’i sont durs, affirma d’une voix de gendarme la grande femme de maît’ Rabot.
Comme elle était d’un village voisin, le curé ne la connaissait que de nom.
— C’est vous, la Blondel ? dit-il.
— Oui, c’est mé, qu’a épousé Rabot.
Rabot, fluet, timide et satisfait, salua en souriant ; il salua d’une grande inclinaison de tête en avant, comme pour dire : « C’est bien moi Rabot, qu’a épousé la Blondel. »
Soudain maît’ Belhomme, qui tenait toujours son mouchoir sur son oreille, se mit à gémir d’une façon lamentable. Il faisait « gniau... gniau... gniau » en tapant du pied pour exprimer son affreuse souffrance.
— Vous avez donc bien mal aux dents ? demanda le curé.
Le paysan cessa un instant de geindre pour répondre : « Non point... m’sieu le curé... C’est point des dents... c’est d’ l’oreille, du fond d’ l’oreille. »
— Qu’est-ce que vous avez donc dans l’oreille. Un dépôt ?
— J’ sais point si c’est un dépôt, mais j’ sais ben qu’ c’est eune bête, un’ grosse bête, qui m’a entré d’dans, vu que j’ dormais su l’ foin dans l’ grenier.
— Un’ bête. Vous êtes sûr ?
— Si j’en suis sûr ? Comme du Paradis, m’sieu le curé, vu qu’a m’ grignote l’ fond d’ l’oreille. A m’ mange la tête, pour sûr ! a m’ mange la tête ! Oh ! gniau... gniau... gniau... Et il se remit à taper du pied.
Un grand intérêt s’était éveillé dans l’assistance. Chacun donnait son avis. Poiret voulait que ce fût une araignée, l’instituteur que ce fût une chenille. Il avait vu ça une fois déjà à Campemuret, dans l’Orne, où il était resté six ans ; même la chenille était entrée dans la tête et sortie par le nez. Mais l’homme était demeuré sourd de cette oreille-là, puisqu’il avait le tympan crevé.
— C’est plutôt un ver, déclara le curé.
Maît’ Belhomme, la tête renversée de côté et appuyée contre la portière, car il était monté le dernier, gémissait toujours.
— Oh ! gniau... gniau... gniau... j’ crairais ben qu’ c’est eune frémi, eune grosse frémi, tant qu’a mord... T’nez, m’sieu le curé... a galope... a galope... Oh ! gniau... gniau... gniau... qué misère !!...
— T’as point vu l’ médecin ? demanda Caniveau.
— Pour sûr, non.
— D’où vient ça ?
La peur du médecin sembla guérir Belhomme.
Il se redressa, sans toutefois lâcher son mouchoir.
— D’où vient ça ! T’as des sous pour eusse, té, pour ces fainéants-là ? Y s’rait v’nu eune fois, deux fois, trois fois, quat’ fois, cinq fois ! Ça fait, deusse écus de cent sous, deusse écus, pour sûr... Et qu’est-ce qu’il aurait fait, dis, çu fainéant, dis, qu’est-ce qu’il aurait fait ? Sais-tu, té ?
https://www.facebook.com/photo?fbid=10221407121680251&set=pcb.1777943509036847
— Eh bien, maît’ Caniveau, dit-il, ça va-t-il comme vous voulez ?
L’énorme campagnard, qu’une sympathie de taille, d’encolure et de ventre liait avec l’ecclésiastique, répondit en souriant :
— Tout d’ même, m’sieu l’ curé, tout d’ même, et d’ vote part ?
— Oh ! d’ ma part, ça va toujours.
— Et vous, maît’ Poiret ? demanda l’abbé.
— Oh ! mé, ça irait, n’étaient les cossards (colzas) qui n’ donneront guère c’t’ année ; et, vu les affaires, c’est là-dessus qu’on s’ rattrape.
— Que voulez-vous, les temps sont durs.
— Que oui, qu’i sont durs, affirma d’une voix de gendarme la grande femme de maît’ Rabot.
Comme elle était d’un village voisin, le curé ne la connaissait que de nom.
— C’est vous, la Blondel ? dit-il.
— Oui, c’est mé, qu’a épousé Rabot.
Rabot, fluet, timide et satisfait, salua en souriant ; il salua d’une grande inclinaison de tête en avant, comme pour dire : « C’est bien moi Rabot, qu’a épousé la Blondel. »
Soudain maît’ Belhomme, qui tenait toujours son mouchoir sur son oreille, se mit à gémir d’une façon lamentable. Il faisait « gniau... gniau... gniau » en tapant du pied pour exprimer son affreuse souffrance.
— Vous avez donc bien mal aux dents ? demanda le curé.
Le paysan cessa un instant de geindre pour répondre : « Non point... m’sieu le curé... C’est point des dents... c’est d’ l’oreille, du fond d’ l’oreille. »
— Qu’est-ce que vous avez donc dans l’oreille. Un dépôt ?
— J’ sais point si c’est un dépôt, mais j’ sais ben qu’ c’est eune bête, un’ grosse bête, qui m’a entré d’dans, vu que j’ dormais su l’ foin dans l’ grenier.
— Un’ bête. Vous êtes sûr ?
— Si j’en suis sûr ? Comme du Paradis, m’sieu le curé, vu qu’a m’ grignote l’ fond d’ l’oreille. A m’ mange la tête, pour sûr ! a m’ mange la tête ! Oh ! gniau... gniau... gniau... Et il se remit à taper du pied.
Un grand intérêt s’était éveillé dans l’assistance. Chacun donnait son avis. Poiret voulait que ce fût une araignée, l’instituteur que ce fût une chenille. Il avait vu ça une fois déjà à Campemuret, dans l’Orne, où il était resté six ans ; même la chenille était entrée dans la tête et sortie par le nez. Mais l’homme était demeuré sourd de cette oreille-là, puisqu’il avait le tympan crevé.
— C’est plutôt un ver, déclara le curé.
Maît’ Belhomme, la tête renversée de côté et appuyée contre la portière, car il était monté le dernier, gémissait toujours.
— Oh ! gniau... gniau... gniau... j’ crairais ben qu’ c’est eune frémi, eune grosse frémi, tant qu’a mord... T’nez, m’sieu le curé... a galope... a galope... Oh ! gniau... gniau... gniau... qué misère !!...
— T’as point vu l’ médecin ? demanda Caniveau.
— Pour sûr, non.
— D’où vient ça ?
La peur du médecin sembla guérir Belhomme.
Il se redressa, sans toutefois lâcher son mouchoir.
— D’où vient ça ! T’as des sous pour eusse, té, pour ces fainéants-là ? Y s’rait v’nu eune fois, deux fois, trois fois, quat’ fois, cinq fois ! Ça fait, deusse écus de cent sous, deusse écus, pour sûr... Et qu’est-ce qu’il aurait fait, dis, çu fainéant, dis, qu’est-ce qu’il aurait fait ? Sais-tu, té ?
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