LA BÊTE À MAÎT’ BELHOMME. GUY DE MAUPASSANT 4
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LA BÊTE À MAÎT’ BELHOMME. GUY DE MAUPASSANT 4
4 a vérifier
Caniveau conseillait toujours de mêler de l’eau-de-vie à l’eau, afin de griser et d’endormir la bête, de la tuer peut-être. Mais le curé préféra du vinaigre.
On fit couler le mélange goutte à goutte, cette fois, afin qu’il pénétrât jusqu’au fond, puis on le laissa quelques minutes dans l’organe habité.
Une cuvette ayant été de nouveau apportée, Belhomme fut retourné tout d’une pièce par le curé et Caniveau, ces deux colosses, tandis que l’instituteur tapait avec ses doigts sur l’oreille saine, afin de bien vider l’autre.
Césaire Horlaville, lui-même, était entré pour voir, son fouet à la main.
Et soudain, on aperçut au fond de la cuvette un petit point brun, pas plus gros qu’un grain d’oignon. Cela remuait, pourtant. C’était une puce ! Des cris d’étonnement s’élevèrent, puis des rires éclatants. Une puce ! Ah ! elle était bien bonne, bien bonne ! Caniveau se tapait sur la cuisse, Césaire Horlaville fit claquer son fouet ; le curé s’esclaffait à la façon des ânes qui braient, l’instituteur riait comme on éternue, et les deux femmes poussaient de petits cris de gaieté pareils au gloussement des poules.
Belhomme s’était assis sur la table, et ayant pris sur ses genoux la cuvette, il contemplait avec une attention grave et une colère joyeuse dans l’œil la bestiole vaincue qui tournait dans sa goutte d’eau.
Il grogna : « Te v’là, charogne », et cracha dessus.
Le cocher, fou de gaieté, répétait : « Eune puce, eune puce, ah ! te v’là, sacré puçot, sacré puçot, sacré puçot ! »
Puis, s’étant un peu calmé, il cria : « Allons, en route ! V’là assez de temps perdu. »
Et les voyageurs, riant toujours, s’en allèrent vers la voiture.
Cependant Belhomme, venu le dernier, déclara : « Mé, j’ m’en r’tourne à Criquetot. J’ai pu que fé au Havre à cette heure. »
Le cocher lui dit : « N’importe, paye ta place ! »
— Je t’en dé que la moitié pisque j’ai point passé mi-chemin.
— Tu dois tout pisque t’as r’tenu jusqu’au bout.
Et une dispute commença qui devint bientôt une querelle furieuse : Belhomme jurait qu’il ne donnerait que vingt sous, Césaire Horlaville affirmait qu’il en recevrait quarante.
Et ils criaient, nez contre nez, les yeux dans les yeux.
Caniveau redescendit.
— D’abord, tu dés quarante sous au curé, t’entends, et pi une tournée à tout le monde, ça fait chiquante-chinq, et pi t’en donneras vingt à Césaire. Ça va-t-il, dégourdi ?
Le cocher, enchanté de voir Belhomme débourser trois francs soixante et quinze, répondit : « Ça va ! »
— Allons paie.
— J’ paierai point. L’ curé n’est pas médecin d’abord.
— Si tu n’ paies point, j’ te r’mets dans la voiture à Césaire et j’ t’emporte au Havre.
Et le colosse, ayant saisi Belhomme par les reins, l’enleva comme un enfant.
L’autre vit bien qu’il faudrait céder. Il tira sa bourse, et paya.
Puis la voiture se remit en marche vers Le Havre, tandis que Belhomme retournait à Criquetot, et tous les voyageurs, muets à présent, regardaient sur la route blanche la blouse bleue du paysan, balancée sur ses longues jambes.
22 septembre 1885
Caniveau conseillait toujours de mêler de l’eau-de-vie à l’eau, afin de griser et d’endormir la bête, de la tuer peut-être. Mais le curé préféra du vinaigre.
On fit couler le mélange goutte à goutte, cette fois, afin qu’il pénétrât jusqu’au fond, puis on le laissa quelques minutes dans l’organe habité.
Une cuvette ayant été de nouveau apportée, Belhomme fut retourné tout d’une pièce par le curé et Caniveau, ces deux colosses, tandis que l’instituteur tapait avec ses doigts sur l’oreille saine, afin de bien vider l’autre.
Césaire Horlaville, lui-même, était entré pour voir, son fouet à la main.
Et soudain, on aperçut au fond de la cuvette un petit point brun, pas plus gros qu’un grain d’oignon. Cela remuait, pourtant. C’était une puce ! Des cris d’étonnement s’élevèrent, puis des rires éclatants. Une puce ! Ah ! elle était bien bonne, bien bonne ! Caniveau se tapait sur la cuisse, Césaire Horlaville fit claquer son fouet ; le curé s’esclaffait à la façon des ânes qui braient, l’instituteur riait comme on éternue, et les deux femmes poussaient de petits cris de gaieté pareils au gloussement des poules.
Belhomme s’était assis sur la table, et ayant pris sur ses genoux la cuvette, il contemplait avec une attention grave et une colère joyeuse dans l’œil la bestiole vaincue qui tournait dans sa goutte d’eau.
Il grogna : « Te v’là, charogne », et cracha dessus.
Le cocher, fou de gaieté, répétait : « Eune puce, eune puce, ah ! te v’là, sacré puçot, sacré puçot, sacré puçot ! »
Puis, s’étant un peu calmé, il cria : « Allons, en route ! V’là assez de temps perdu. »
Et les voyageurs, riant toujours, s’en allèrent vers la voiture.
Cependant Belhomme, venu le dernier, déclara : « Mé, j’ m’en r’tourne à Criquetot. J’ai pu que fé au Havre à cette heure. »
Le cocher lui dit : « N’importe, paye ta place ! »
— Je t’en dé que la moitié pisque j’ai point passé mi-chemin.
— Tu dois tout pisque t’as r’tenu jusqu’au bout.
Et une dispute commença qui devint bientôt une querelle furieuse : Belhomme jurait qu’il ne donnerait que vingt sous, Césaire Horlaville affirmait qu’il en recevrait quarante.
Et ils criaient, nez contre nez, les yeux dans les yeux.
Caniveau redescendit.
— D’abord, tu dés quarante sous au curé, t’entends, et pi une tournée à tout le monde, ça fait chiquante-chinq, et pi t’en donneras vingt à Césaire. Ça va-t-il, dégourdi ?
Le cocher, enchanté de voir Belhomme débourser trois francs soixante et quinze, répondit : « Ça va ! »
— Allons paie.
— J’ paierai point. L’ curé n’est pas médecin d’abord.
— Si tu n’ paies point, j’ te r’mets dans la voiture à Césaire et j’ t’emporte au Havre.
Et le colosse, ayant saisi Belhomme par les reins, l’enleva comme un enfant.
L’autre vit bien qu’il faudrait céder. Il tira sa bourse, et paya.
Puis la voiture se remit en marche vers Le Havre, tandis que Belhomme retournait à Criquetot, et tous les voyageurs, muets à présent, regardaient sur la route blanche la blouse bleue du paysan, balancée sur ses longues jambes.
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