Sarcophage de pierre, crypte... C’est quoi cette église méconnue creusée dans la roche ?

Correspondance, Nicolas Montard

Aux frontières de la Charente et de la Dordogne s’élève une étonnante église. Ou plutôt se cache. L’église d’Aubeterre-sur-Dronne est creusée dans la colline. Visite guidée et histoire d’un édifice aux proportions étonnantes.


Difficile de ne pas rester coi quelques instants. À peine l’entrée de l’église souterraine d’Aubeterre-sur-Dronne (Charente) franchie, le visiteur se sent aspiré dans un autre monde. Au-dessus, la voûte est tantôt à 10, tantôt à 18 mètres. Au sol, l’édifice fait jusqu’à 27 mètres de long sur 16 de large. À droite, un reliquaire de 6 mètres de haut, directement inspiré du Saint-Sépulcre, a été taillé directement dans la roche, en monolithe. Impressionnant ! À gauche, un alignement de sarcophages de pierre…

« Oui, c’est un monument unique par ses dimensions, confirme Dominique Gilson, guide de l’église souterraine d’Aubeterre-sur-Dronne. Il n’existe que deux autres églises de ce type en France, Gurat (à une vingtaine de kilomètres) et Saint-Emilion (à soixante kilomètres), la dernière ayant d’ailleurs été construite par le même homme, Pierre de Castillon. »

Pour comprendre l’étrangeté de l’église d’Aubeterre-sur-Dronne, au sud de la Charente, il faut remonter loin dans le temps. Celui de la Première Croisade (1095-1099), quand Pierre de Castillon aurait découvert Jérusalem, mais aussi les sanctuaires enterrés de Cappadoce, dans la Turquie actuelle.



L’église cachée d’Aubeterre – Ces colonnes, elles aussi, taillées dans la roche, soutiennent l’ensemble. On peut imaginer les travaux de grande envergure au XIIe siècle. (Photo : Nicolas Montard)



L’église cachée d’Aubeterre – De la galerie du haut, après une volée de marches, l’église d’Aubeterre-sur-Dronne dévoile toute sa majesté. (Photo : Nicolas Montard)


Des reliques attirantes

Deux influences fondamentales. « À son retour, il veut certainement transformer Aubeterre en une petite Jérusalem », continue Dominique Gilson. Une église pour y déposer des reliques, dont imagine-t-on, l’une de la vraie croix. Mais cette église, au lieu de l’édifier sur les hauteurs, il va la faire creuser dans la falaise, sous le château d’Aubeterre-sur-Dronne, dont il a épousé la châtelaine. Dix ans de travaux sont nécessaires et on devine que ça n’a pas été de tout repos.

Les ouvriers ont directement creusé dans la pierre, du haut vers le bas, laissant de la roche pour former les immenses colonnes et le reliquaire monumental. Neuf mille mètres cubes de pierres auraient été ainsi évidés ! Si l’église est ouverte sur le village, le châtelain, lui, y a accès par un souterrain privé.

Reconnue par le pape dans une bulle, l’église alors dénommée Saint-Sauveur (elle deviendra Saint-Jean par la suite), attire les ouailles à l’époque, où les reliques sont une affaire sérieuse. Les plus aisés se font même enterrer auprès d’elles, car on accède ainsi plus vite au Paradis.

De quoi contrarier le clergé qui édifie sur les hauteurs de la petite Aubeterre-sur-Dronne, l’église Saint-Jacques. Qui peu à peu prend le pas sur l’église souterraine dite monolithe, sans que l’on sache très bien pourquoi elle tombe en désuétude et l’oubli. Une partie, qui s’avançait jusqu’à la rue actuelle, s’effondre même.


L’église cachée d’Aubeterre – La fosse-reliquaire à l’entrée de l’église. (Photo : Nicolas Montard)

Le temps de l’oubli et du cimetière

Il faudra attendre le XVIe siècle pour qu’une châtelaine ne se décide à la réaménager en ajoutant un autel et quelques niches… À la Révolution, l’édifice devient communal et après avoir servi de réserve à salpêtre, au XIXe, on décide de le transformer en… cimetière ! « On y a enterré des gens jusqu’en 1914, en ajoutant des couches de terre jusqu’à sept mètres de hauteur ! Entre le lieu clos, le taux d’humidité, vous pouvez imaginer l’atmosphère… »

Quand la commune a décidé de vider l’église de ses nouveaux et silencieux occupants au début des années 60, on ne pouvait plus lire les noms sur les croix en bois. « Et malheureusement, ça a été fait de manière assez amateur, du coup, des pans entiers qui auraient pu nous donner des informations sur l’église ont disparu, reprend Dominique Gilson. Un archéologue venu travailler ici il y a quelques années nous disait que l’église était comme un livre avec une couverture extraordinaire mais sans pages intérieures. Quand s’est-elle en partie effondrée ? Est-ce bien Pierre de Castillon, et non un frère d’armes qui a pris sa place pour la bâtir ? »

L’église cachée d’Aubeterre – Dans la crypte, mise à jour dans les années 60. (Photo : Nicolas Montard)

L’étude archéologique a permis néanmoins de tordre le cou à certaines légendes locales : les parties visibles ont toutes été construites au XIIe siècle, alors que certaines, dont la crypte, redécouverte dans les années 60, étaient présumées plus anciennes.

Son aura de mystère contribue aujourd’hui à sa renommée. Neuf siècles après sa construction, l’église Saint-Jean est devenue l’atout numéro 1 d’Aubeterre-sur-Dronne, qui fait partie des « Plus Beaux Villages de France ». Avec 65 000 visiteurs bon an mal an, l’édifice dans la colline est même le premier atout touristique de Charente

ouest france