Ehpad : le constat alarmant de la mission d’information parlementaire
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Ehpad : le constat alarmant de la mission d’information parlementaire
Dans leur rapport, les députées Monique Iborra (LRM) et Caroline Fiat (LFI) appellent à « changer de modèle ».
LE MONDE | 14.03.2018 à 09h43 • Mis à jour le 19.03.2018 à 14h31 | Par Gaëlle Dupont
La publication ne pouvait pas mieux tomber pour les personnels et directeurs d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). A la veille d’une nouvelle journée d’action, jeudi 15 mars, contre la dégradation des conditions de travail et de prise en charge des résidents du fait du manque de personnels, les députées Monique Iborra (La République en marche, Haute-Garonne) et Caroline Fiat (La France insoumise, Meurte-et-Moselle) ont rendu publiques, mercredi 14 mars, les conclusions de leur mission d’information sur les Ehpad.
Celle-ci avait été lancée dans la foulée d’une « mission flash » effectuée par Mme Iborra, en septembre 2017, à l’issue d’une longue grève à l’Ehpad de Foucherans (Jura). Les élues dressent un constat alarmant de la situation dans ces établissements, et leurs préconisations rejoignent les revendications de ce mouvement de mobilisation inédit.
L’introduction du texte semble être adressée au gouvernement, en particulier à la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, qui a mis longtemps à prendre la mesure du désarroi.
« La profonde crise des Ehpad ne peut laisser indifférent, affirment les députées. Que des milliers de professionnels expriment leur désarroi face à la difficulté de ne plus pouvoir exercer dans des conditions humaines et décentes le métier qu’ils ont choisi (…), que leurs directions les soutiennent (…), que les familles s’interrogent toujours davantage sur ces institutions dans lesquelles leurs membres espèrent ne pas avoir à finir leurs jours (…) doit interpeller l’ensemble des décideurs publics. »
« Nos propositions sont issues de situations vues sur le terrain », affirme Mme Iborra. Le constat y est « unanime », notent les parlementaires. Les Ehpad n’ont plus les moyens de prendre en charge correctement des résidents de plus en plus dépendants, âgés en moyenne de 85 ans à leur entrée en établissement, touchés en moyenne par 7,9 pathologies et atteints dans leur majorité de démences.
Revaloriser le statut des aides-soignants
Cette réalité découle de l’avancée en âge de la population, et de choix politiques : la priorité ayant été donnée au maintien à domicile depuis une dizaine d’années, l’entrée en établissement est aujourd’hui le dernier recours. La diminution du nombre de places disponibles en unité de soins de longue durée, des structures hospitalières accueillant des personnes très dépendantes, a en outre entraîné un report d’une partie de cette population vers les Ehpad.
Résultat : une souffrance au travail importante, dont témoignent des taux élevés d’accidents de travail et d’absentéisme, et une prise en charge dégradée. La mission estime que le temps moyen consacré à chaque résident est inférieur à une heure par jour. En tête de ses propositions figure la création d’un « ratio opposable de personnel par résident ».
Les parlementaires se concentrent sur le personnel « au chevet » des personnes âgées, dont le ratio est aujourd’hui de 24,5 aides-soignants et de 6 infirmiers pour 100 résidents. La mission estime nécessaire de doubler leur nombre pour atteindre 60 soignants pour 100 résidents. Elle s’appuie sur les informations recueillies auprès du personnel, qui estime que le temps moyen consacré à un résident doit être au moins d’une heure et demie par jour.
La proposition rejoint les revendications syndicales, qui réclament 10 professionnels pour 10 résidents toutes catégories confondues (y compris le personnels administratif). Afin de remédier aux difficultés dramatiques de recrutement dans la filière du grand âge, la mission insiste sur la nécessité d’« actualiser les compétences » des aides-soignants et de revaloriser leur statut. Elle souligne également la difficulté, pour les résidents en Ehpad, d’accéder à des médecins. « Environ 60 % des passages aux urgences pourraient être évités si les maladies chroniques étaient correctement prises en charge en Ehpad », estiment les rapporteuses.
« Un financement profondément renouvelé »
Face à ce constat, les parlementaires appellent à un véritable « changement de modèle ». L’Ehpad de demain, affirment-elles, « devra être un établissement ouvert sur l’extérieur », à la fois en recevant un public extérieur (en accueillant par exemple des maisons de santé), mais aussi en exportant ses prestations (soins à domicile, garde de nuit itinérante…).
Elles remettent en question par ailleurs le système d’accueil des malades d’Alzheimer, hébergés dans des unités fermées au sein des Ehpad pour des raisons de sécurité, qui sont « contraires à la liberté d’aller et venir ». Les parlementaires préconisent la création d’établissements entièrement consacrés à la prise en charge de ces malades et de leurs spécificités.
Ce nouveau modèle demande « une gouvernance et un financement profondément renouvelés ». Allant de nouveau dans le sens des syndicats et directeurs d’Ehpad, la mission demande la suspension de la réforme de la tarification des établissements, lancée sous le précédent quinquennat, qui vise à faire harmoniser leurs moyens, mais est très fortement contestée sur le terrain.
Mme Buzyn a reconnu, le 7 mars, devant les sénateurs de la commission des affaires sociales du Sénat, que la réforme faisait « un nombre significatif de perdants », et envisage de « compenser sur un ou deux ans les pertes des Ehpad en difficulté ». Mais la mission recommande de s’atteler à un chantier de plus longue haleine, en rouvrant celui du financement du risque de perte d’autonomie.
« Ce débat ne doit pas rester technocratique, mais doit associer les citoyens, plaide Mme Iborra. Les choix politiques nécessaires demandent l’adhésion de la population. » Les parlementaires estiment essentiel de dépenser un point de produit intérieur brut supplémentaire, soit 20 milliards d’euros. La création d’un « cinquième risque » pris en charge par la Sécurité sociale a été envisagée, mais jamais mis en œuvre sous les précédents gouvernements.
LE MONDE | 14.03.2018 à 09h43 • Mis à jour le 19.03.2018 à 14h31 | Par Gaëlle Dupont
La publication ne pouvait pas mieux tomber pour les personnels et directeurs d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). A la veille d’une nouvelle journée d’action, jeudi 15 mars, contre la dégradation des conditions de travail et de prise en charge des résidents du fait du manque de personnels, les députées Monique Iborra (La République en marche, Haute-Garonne) et Caroline Fiat (La France insoumise, Meurte-et-Moselle) ont rendu publiques, mercredi 14 mars, les conclusions de leur mission d’information sur les Ehpad.
Celle-ci avait été lancée dans la foulée d’une « mission flash » effectuée par Mme Iborra, en septembre 2017, à l’issue d’une longue grève à l’Ehpad de Foucherans (Jura). Les élues dressent un constat alarmant de la situation dans ces établissements, et leurs préconisations rejoignent les revendications de ce mouvement de mobilisation inédit.
L’introduction du texte semble être adressée au gouvernement, en particulier à la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, qui a mis longtemps à prendre la mesure du désarroi.
« La profonde crise des Ehpad ne peut laisser indifférent, affirment les députées. Que des milliers de professionnels expriment leur désarroi face à la difficulté de ne plus pouvoir exercer dans des conditions humaines et décentes le métier qu’ils ont choisi (…), que leurs directions les soutiennent (…), que les familles s’interrogent toujours davantage sur ces institutions dans lesquelles leurs membres espèrent ne pas avoir à finir leurs jours (…) doit interpeller l’ensemble des décideurs publics. »
« Nos propositions sont issues de situations vues sur le terrain », affirme Mme Iborra. Le constat y est « unanime », notent les parlementaires. Les Ehpad n’ont plus les moyens de prendre en charge correctement des résidents de plus en plus dépendants, âgés en moyenne de 85 ans à leur entrée en établissement, touchés en moyenne par 7,9 pathologies et atteints dans leur majorité de démences.
Revaloriser le statut des aides-soignants
Cette réalité découle de l’avancée en âge de la population, et de choix politiques : la priorité ayant été donnée au maintien à domicile depuis une dizaine d’années, l’entrée en établissement est aujourd’hui le dernier recours. La diminution du nombre de places disponibles en unité de soins de longue durée, des structures hospitalières accueillant des personnes très dépendantes, a en outre entraîné un report d’une partie de cette population vers les Ehpad.
Résultat : une souffrance au travail importante, dont témoignent des taux élevés d’accidents de travail et d’absentéisme, et une prise en charge dégradée. La mission estime que le temps moyen consacré à chaque résident est inférieur à une heure par jour. En tête de ses propositions figure la création d’un « ratio opposable de personnel par résident ».
Les parlementaires se concentrent sur le personnel « au chevet » des personnes âgées, dont le ratio est aujourd’hui de 24,5 aides-soignants et de 6 infirmiers pour 100 résidents. La mission estime nécessaire de doubler leur nombre pour atteindre 60 soignants pour 100 résidents. Elle s’appuie sur les informations recueillies auprès du personnel, qui estime que le temps moyen consacré à un résident doit être au moins d’une heure et demie par jour.
La proposition rejoint les revendications syndicales, qui réclament 10 professionnels pour 10 résidents toutes catégories confondues (y compris le personnels administratif). Afin de remédier aux difficultés dramatiques de recrutement dans la filière du grand âge, la mission insiste sur la nécessité d’« actualiser les compétences » des aides-soignants et de revaloriser leur statut. Elle souligne également la difficulté, pour les résidents en Ehpad, d’accéder à des médecins. « Environ 60 % des passages aux urgences pourraient être évités si les maladies chroniques étaient correctement prises en charge en Ehpad », estiment les rapporteuses.
« Un financement profondément renouvelé »
Face à ce constat, les parlementaires appellent à un véritable « changement de modèle ». L’Ehpad de demain, affirment-elles, « devra être un établissement ouvert sur l’extérieur », à la fois en recevant un public extérieur (en accueillant par exemple des maisons de santé), mais aussi en exportant ses prestations (soins à domicile, garde de nuit itinérante…).
Elles remettent en question par ailleurs le système d’accueil des malades d’Alzheimer, hébergés dans des unités fermées au sein des Ehpad pour des raisons de sécurité, qui sont « contraires à la liberté d’aller et venir ». Les parlementaires préconisent la création d’établissements entièrement consacrés à la prise en charge de ces malades et de leurs spécificités.
Ce nouveau modèle demande « une gouvernance et un financement profondément renouvelés ». Allant de nouveau dans le sens des syndicats et directeurs d’Ehpad, la mission demande la suspension de la réforme de la tarification des établissements, lancée sous le précédent quinquennat, qui vise à faire harmoniser leurs moyens, mais est très fortement contestée sur le terrain.
Mme Buzyn a reconnu, le 7 mars, devant les sénateurs de la commission des affaires sociales du Sénat, que la réforme faisait « un nombre significatif de perdants », et envisage de « compenser sur un ou deux ans les pertes des Ehpad en difficulté ». Mais la mission recommande de s’atteler à un chantier de plus longue haleine, en rouvrant celui du financement du risque de perte d’autonomie.
« Ce débat ne doit pas rester technocratique, mais doit associer les citoyens, plaide Mme Iborra. Les choix politiques nécessaires demandent l’adhésion de la population. » Les parlementaires estiment essentiel de dépenser un point de produit intérieur brut supplémentaire, soit 20 milliards d’euros. La création d’un « cinquième risque » pris en charge par la Sécurité sociale a été envisagée, mais jamais mis en œuvre sous les précédents gouvernements.
Re: Ehpad : le constat alarmant de la mission d’information parlementaire
Ehpad : les premiers gestes de Buzyn jugés insuffisants par les syndicats
Les organisations regrettent l’absence de « mesure immédiate » pour renforcer les effectifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées.
LE MONDE | 14.03.2018 à 11h30 • Mis à jour le 15.03.2018 à 10h14 | Par François Béguin
Difficile de circonscrire un incendie sans moyens supplémentaires. C’est pourtant ce qu’a tenté de faire, mardi 13 mars, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, à l’avant-veille de la deuxième journée de grève dans les maisons de retraite, jeudi 15 mars, à l’appel de neuf organisations syndicales, avec le soutien de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et le relais de la Coordination nationale infirmière (CNI). La précédente, le 30 janvier, avait mobilisé près d’un tiers (31,8 %) des salariés des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics et privés.
A l’occasion des assises nationales des Ehpad, rencontres professionnelles qui se tenaient à Paris, Mme Buzyn a tendu la main aux syndicats tout en fixant des lignes rouges à leurs revendications. « Je ne suis pas sourde à ce que j’ai entendu depuis ma prise de fonction, il est beaucoup question de souffrance », a-t-elle lancé, promettant de dévoiler à la fin du mois « les grandes orientations d’une stratégie globale » pour la prise en charge du vieillissement
En signe de bonne volonté, elle s’est engagée à rencontrer les représentants de l’intersyndicale, ce qu’elle avait refusé de faire le 30 janvier. Un refus qualifié de « mépris » et de « provocation » par plusieurs syndicats lors d’une conférence de presse au siège de la CGT, vendredi 9 mars.
Annonces « très insuffisantes »
Face aux demandes syndicales de retrait de la réforme du financement des maisons de retraite, à l’origine d’une baisse des recettes pour « 20 % à 25 % » des établissements, Mme Buzyn a annoncé la mise en place d’un mécanisme permettant de neutraliser pendant un ou deux ans les pertes de recettes. Elle a également évoqué de possibles « ajustements » et « une modification du décret, sans pour autant remettre en cause les fondements » de la réforme engagée sous François Hollande.
Un geste qualifié de « premier pas » par Pascal Champvert, le président de l’AD-PA, pour qui le gel de la réforme est « la moindre des choses compte tenu de la situation ». « Les annonces de Mme Buzyn sont intéressantes car elles marquent une progression et une ouverture », estime Jean-Claude Stutz, le secrétaire national adjoint d’UNSA - Santé sociaux, tout en regrettant qu’il n’y ait « aucune mesure immédiate pour renforcer les effectifs ». A la CFTC Santé sociaux, Christian Cumin les juge globalement « très insuffisantes ».
Car, si la ministre a bien fait un geste en direction de l’intersyndicale sur la question du mode de financement, elle a en revanche opposé un refus catégorique à la demande d’augmenter le taux d’encadrement en Ehpad jusqu’à un ratio d’un agent ou d’un salarié par résident contre 0,6 actuellement. « Ce ratio n’a aucun fondement théorique ou scientifique, il ne peut pas être considéré comme une norme », a-t-elle assuré, estimant que « la France n’a pas les moyens budgétaires de garantir ce taux » et que « nous ne disposerions pas non plus des ressources humaines pour l’atteindre ».
Re: Ehpad : le constat alarmant de la mission d’information parlementaire
10 mars 2018, par Mara GOYET
L’humanité : un truc en plus ? (scènes de la vie d’Ehpad)
Arrivant dans l’Ehpad, il y a quelques semaines, j’ai trouvé mon père allongé par terre.
Il y était depuis longtemps, il ne voulait ou n’arrivait pas à se lever. On lui avait fait sa toilette par terre et donné son petit-déjeuner ainsi. On lui avait même mis un oreiller sous la tête. Je suis restée une heure à lui parler. Lui par terre. Moi assise sur son lit. Au bout d’un moment j’ai quand même fait remarquer qu’on n’allait pas pouvoir le laisser ainsi. On m’a redit pour la quinzième fois qu’il était, pour résumer, « difficile » (j’ai encore une fois promis de le priver de jeux vidéos jusqu’aux prochaines vacances). Comme si nous y pouvions quelque chose. Ca a maugréé de toutes parts (la famille chiante).
Avec deux aides-soignantes et une infirmière nous l’avons finalement soulevé et mis sur son lit, assis. Sans problème mais pas sans douleur (nous étions 4 femmes pas spécialement musclées, mais il est tout léger désormais). Je me demande combien de temps il serait resté ainsi si je ne m’étais pas manifestée. C’est un résident difficile : gravement malade (Alzheimer), sans aucune autonomie, seulement âgé de 67 ans, il est encore robuste et en forme, toujours de bonne humeur ( à un point !) mais rétif aux soins. Un sens de la dignité sans doute.
Récemment, je suis arrivée vers 10 heures 30. Tout les résidents dormaient devant la télé allumée. Toutes les portes étaient fermées. Mon père déambulait seul dans le couloir ainsi clôturé. Son jogging était, comment dire…Mais il fallait attendre puisqu’il faut être deux pour s’en occuper.Dans les deux cas, l’ambiance était à chier [sic], l’étage ensommeillé, les résidents prostrés, livrés à eux-mêmes.
Le manque de personnel est criant. Leur travail est de toute évidence très éprouvant, j’imagine décourageant, très difficile, mal payé, pas considéré. La fréquentation quotidienne de fins de vie aussi tristes et parfois esseulées doit ronger. Je n’ai aucun doute là-dessus et je pense toujours en tenir compte quand j’y vais. Ils subissent des conditions de travail terriblement ingrates : il faudrait bien plus de gens. Ils ne peuvent pas faire leur travail comme ils le souhaiteraient. C’est impossible.
Je ne suis donc pas là pour juger. Je ne désigne ni ne cherche de coupable : la pire saloperie, c’est la maladie. Et moi qui travaille avec des enfants pleins d’avenir, je mesure à quel point je serais sans doute incapable de faire ce travail.
Mais il y a cependant une chose, je ne peux pas ne pas le remarquer, qui fait toute la différence, et ce n’est pas une question de salaire ni de rien d’autre, c’est l’humanité.
Car il y a aussi une aide-soignante, et elle n’est pas la seule, qui transforme l’étage par sa seule présence. La tristesse se dissipe, elle met de la musique, éteint la télé, parle à chacun, bouge, rit. J’adore discuter et déconner avec elle. Quand elle est là, tout le monde se sent mieux.
Moi comprise. On a l’impression qu’elle est le Prince des résidents aux bois dormants. Elle réveille tout le monde. Elle doit être aussi sous payée, pas considérée, pas épargnée par les difficultés (le mal de dos, les gens difficiles, le manque de considération). Mais elle a ce truc en plus : l’humanité. Est-ce quelque chose que l’on peut exiger ? Où est l’autorité morale, dans ces endroits-là (comme dans d’autres, établissements scolaires, etc.) ? Comment vivre dans un monde, quand on est vulnérable, où cela dépend du bon vouloir, de la pente de chacun ? Ou l’on peut-être pro sans être quelqu’un de bien ?
L’humanité, un truc en plus…
Je suis triste pour mon père. Encore plus pour ma mère que cette situation ne cesse d’accabler par sa cruauté mille fois renouvelée et décuplée. Elle se bat, ne laisse rien passer mais finit pas ne plus savoir que faire ni comment s’en sortir. Elle finit même par passer pour une emmerdeuse qui empêche les choses de tourner pas rond. Elle est mille fois plus là, mille fois plus lasse, mille fois plus en colère que moi.
En ce qui me concerne, je me contente de penser à mon métier. C’est aussi l’humanité qui peut tout changer. Et là aussi, je dois dire qu’il m’arrive souvent de la voir oubliée.[Ne jamais dire aux parents « ben oui, désolée, le système est ainsi fait » et autres banalités qui sont, de fait, des monstruosités]
L’humanité : un truc en plus ? (scènes de la vie d’Ehpad)
Arrivant dans l’Ehpad, il y a quelques semaines, j’ai trouvé mon père allongé par terre.
Il y était depuis longtemps, il ne voulait ou n’arrivait pas à se lever. On lui avait fait sa toilette par terre et donné son petit-déjeuner ainsi. On lui avait même mis un oreiller sous la tête. Je suis restée une heure à lui parler. Lui par terre. Moi assise sur son lit. Au bout d’un moment j’ai quand même fait remarquer qu’on n’allait pas pouvoir le laisser ainsi. On m’a redit pour la quinzième fois qu’il était, pour résumer, « difficile » (j’ai encore une fois promis de le priver de jeux vidéos jusqu’aux prochaines vacances). Comme si nous y pouvions quelque chose. Ca a maugréé de toutes parts (la famille chiante).
Avec deux aides-soignantes et une infirmière nous l’avons finalement soulevé et mis sur son lit, assis. Sans problème mais pas sans douleur (nous étions 4 femmes pas spécialement musclées, mais il est tout léger désormais). Je me demande combien de temps il serait resté ainsi si je ne m’étais pas manifestée. C’est un résident difficile : gravement malade (Alzheimer), sans aucune autonomie, seulement âgé de 67 ans, il est encore robuste et en forme, toujours de bonne humeur ( à un point !) mais rétif aux soins. Un sens de la dignité sans doute.
Récemment, je suis arrivée vers 10 heures 30. Tout les résidents dormaient devant la télé allumée. Toutes les portes étaient fermées. Mon père déambulait seul dans le couloir ainsi clôturé. Son jogging était, comment dire…Mais il fallait attendre puisqu’il faut être deux pour s’en occuper.Dans les deux cas, l’ambiance était à chier [sic], l’étage ensommeillé, les résidents prostrés, livrés à eux-mêmes.
Le manque de personnel est criant. Leur travail est de toute évidence très éprouvant, j’imagine décourageant, très difficile, mal payé, pas considéré. La fréquentation quotidienne de fins de vie aussi tristes et parfois esseulées doit ronger. Je n’ai aucun doute là-dessus et je pense toujours en tenir compte quand j’y vais. Ils subissent des conditions de travail terriblement ingrates : il faudrait bien plus de gens. Ils ne peuvent pas faire leur travail comme ils le souhaiteraient. C’est impossible.
Je ne suis donc pas là pour juger. Je ne désigne ni ne cherche de coupable : la pire saloperie, c’est la maladie. Et moi qui travaille avec des enfants pleins d’avenir, je mesure à quel point je serais sans doute incapable de faire ce travail.
Mais il y a cependant une chose, je ne peux pas ne pas le remarquer, qui fait toute la différence, et ce n’est pas une question de salaire ni de rien d’autre, c’est l’humanité.
Car il y a aussi une aide-soignante, et elle n’est pas la seule, qui transforme l’étage par sa seule présence. La tristesse se dissipe, elle met de la musique, éteint la télé, parle à chacun, bouge, rit. J’adore discuter et déconner avec elle. Quand elle est là, tout le monde se sent mieux.
Moi comprise. On a l’impression qu’elle est le Prince des résidents aux bois dormants. Elle réveille tout le monde. Elle doit être aussi sous payée, pas considérée, pas épargnée par les difficultés (le mal de dos, les gens difficiles, le manque de considération). Mais elle a ce truc en plus : l’humanité. Est-ce quelque chose que l’on peut exiger ? Où est l’autorité morale, dans ces endroits-là (comme dans d’autres, établissements scolaires, etc.) ? Comment vivre dans un monde, quand on est vulnérable, où cela dépend du bon vouloir, de la pente de chacun ? Ou l’on peut-être pro sans être quelqu’un de bien ?
L’humanité, un truc en plus…
Je suis triste pour mon père. Encore plus pour ma mère que cette situation ne cesse d’accabler par sa cruauté mille fois renouvelée et décuplée. Elle se bat, ne laisse rien passer mais finit pas ne plus savoir que faire ni comment s’en sortir. Elle finit même par passer pour une emmerdeuse qui empêche les choses de tourner pas rond. Elle est mille fois plus là, mille fois plus lasse, mille fois plus en colère que moi.
En ce qui me concerne, je me contente de penser à mon métier. C’est aussi l’humanité qui peut tout changer. Et là aussi, je dois dire qu’il m’arrive souvent de la voir oubliée.[Ne jamais dire aux parents « ben oui, désolée, le système est ainsi fait » et autres banalités qui sont, de fait, des monstruosités]
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