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Série. 2. La vie de saint Corentin, une histoire politique

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Message par Admin Mer 18 Juil - 19:35

Série. 2. La vie de saint Corentin, une histoire politique 320

La légende raconte que Corentin, qui vivait chichement dans son ermitage, se nourissait grâce à un poisson qui se régénèrait après qu’il eut prélevé un bout de sa chair pour se sustenter. Sa statue dans la Vallée des Saints à Carnöet (22) a été sculptée par Seenu Shanmugam. (Photo Le Télégramme / Claude Prigent)

Considéré comme le premier évêque de Quimper, saint Corentin n’apparaît que tardivement dans les textes hagiographiques. La première « biographie » qui lui est consacrée, est rédigée au début du XIIIe siècle, dans un contexte politique local bien particulier.

Comme saint Patern de Vannes, Corentin est originaire d’Armorique, contrairement à la plupart des premiers saints de Bretagne, venus des îles britanniques. Il serait né au Ve ou VIe siècle du côté de Locmaria, en Cornouaille. Dans la « Vie des saints de la Bretagne Armorique », publiée au XVIIe siècle, le moine et historien Albert Le Grand fait naître saint Corentin vers 375, « treize ans avant que le tyran Maxime passât en Gaule, et fut, dès son enfance, instruit par ses parents en la religion chrétienne ; et ayant été par une grâce et protection spéciale de Dieu, préservé pendant les guerres que le Roy Conan Meriadec fit aux garnisons Romaines, qu’il chassa entièrement de Bretagne ».

Dans une Armorique romanisée, la foi chrétienne se propage peu à peu. C’est dans cet univers que grandit Corentin, qui très vite se consacre à Dieu et embrasse la vie d’ermite, dans la forêt de Plomodiern, sur le versant sud du Ménez Hom, une montagne située entre l’Aulne et le Porzay.


Un des piliers de la mythologie cornouaillaise


Dans son ermitage, Corentin vit chichement, nourri par la grâce de dieu, qui lui fournit de l’eau à travers une fontaine magique, dans laquelle vit un poisson qui se régénère tous les jours après que le saint eut prélevé un bout de chair pour se sustenter. Dans la tradition locale, Corentin représente l’un des quatre piliers de la Cornouaille, avec le roi Gradlon, saint Guénolé et saint Tudy, dont il serait un contemporain. En effet, la légende raconte que Gradlon, perdu avec sa troupe après une partie de chasse, serait tombé par hasard sur l’ermitage de Corentin, qui l’aurait accueilli et nourri à l’aide de son poisson magique.

Quant à Guénolé et Tudy, ils seraient ses disciples. C’est en tout cas ce que raconte « La vie latine de saint Corentin », rédigée au XIIIe siècle dans la région. Dans cette hagiographie, Corentin y rencontre également saint Malo et saint Patern, venus vérifier les dires de la population et les miracles de cet ermite se réclamant de Dieu.

Face à tant de miracles, Gradlon l’envoie à Tours pour rencontrer saint Martin, qui le consacre évêque de Quimper. Ce dernier lui donne également la prérogative de nommer ses disciples Tudy et Guénolé à la tête de deux monastères. Le roi Gradlon offre à Corentin son palais pour bâtir la première cathédrale.


Une histoire écrite pour coller avec la réalité du XIIIe siècle


Forgée au cours du XIIIe siècle, la vie de Corentin est largement soumise à caution. « Les cathédrales et les monastères étaient pourvus de bibliothèques, explique les prêtres quimpérois et historiens Doble et Kerbiriou au début du XXe siècle. Les chanoines et les moines avaient des goûts littéraires ; ils se mirent eux-mêmes à écrire la vie des saints des églises dont ils percevaient les dîmes ». Le rédacteur brodait une histoire en se basant sur les légendes locales, en y intégrant les saints environnants, sans qu’ils aient forcément un rapport avec le héros, « en prenant soin de leur donner un rôle très inférieur ». Mais l’histoire de saint Corentin va plus loin que le simple emprunt, il révèle également des enjeux plus politiques de la période à laquelle le texte a été écrit.

« Les monastères dont l’hagiographe veut rappeler la soumission à Corentin et à ses successeurs sont ceux de Landévennec et Loctudy », précise l’historien André-Yves Bourgès. Alors que la Vita de saint Corentin est rédigée autour de 1235, il existe notamment de nombreux différends entre les religieux du monastère de Landévennec (qu’on attribue à saint Guénolé) et l’évêque de Quimper. Le 12 novembre 1233, le pape Grégoire IX donne mandat à l’évêque de Saint-Malo pour tenter de mettre fin au litige, les moines réclamant d’être directement rattachés à la juridiction de Tours plutôt qu’à celle de Quimper. Or la biographie de Corentin légitime la domination de l’évêché sur les abbayes.

Pour André-Yves Bourgès, « [cela] rend compte des manipulations auxquelles donne souvent prise le matériau hagiographique : un conflit d’intérêts ayant dégénéré en procès, chacune des deux parties cherche à réunir des preuves qui permettent de convaincre l’arbitre du bien-fondé de sa position ; quand les preuves n’existent pas, on les fabrique et on les revêt du sceau de l’auctoritas, celle de la vie du saint, […] patron du chef-lieu épiscopal ».

La biographie médiévale de Corentin aborde également un autre sujet d’actualité, à travers les remarques de cupidité d’une partie du clergé, dénoncé dans le texte. L’historien y voit une métaphore du conflit qui oppose une partie du haut clergé breton et Pierre Ier de Bretagne. Ce dernier estime que les religieux empiètent, par la levée d’impôts et l’exploitation de terres, sur son pouvoir ducal. Il s’oppose frontalement à huit des neuf évêques bretons. Un seul est épargné : l’évêque de Quimper, un certain Rainaud, l’un de ses fidèles serviteurs…



La Bretagne, terre de dévotion

La Bretagne compte près de 900 saints. Si plus de la moitié d’entre eux a été oubliée, près de 400 ont encore une dévotion populaire et très localisée, même si leur existence est incertaine : saint Rittan de Crozon, saint Riwalatr de Quimperlé, saint Sutic de Guissény, saint Thamec de Moëlan… On comptait à la fin du Moyen-Âge plus de 18 000 chapelles ou églises dans la région, dont un tiers subsiste encore, faisant de la Bretagne le territoire avec la plus grande densité de sanctuaires en Europe. « La religion venue de Grande-Bretagne avec les populations émigrées en Armorique est un christianisme des confins, apparu avec l’Empire romain, explique l’historienne Magali Coumert.

Il rencontre sur le continent un christianisme plus organisé autour du rôle des évêques, dont l’autorité repose sur le territoire des anciennes cités du monde gallo-romain. Dans le reste de la Gaule, ces derniers encadrent les cultes populaires, les hiérarchisent. Ce n’est pas le cas en Bretagne où le territoire est moins structuré et échappe à l’autorité des évêques ». De plus, poursuit la médiéviste, en Bretagne, les communautés paysannes ne se rassemblent pas en villages, mais restent en hameaux, ce qui fractionne les communautés religieuses et explique la multiplication des lieux de cultes. Les guerres de religion du XVIe siècle entre catholiques et protestants ont également eu une influence : « Pour les protestants, nombre de saints étaient considérés comme des inventions populaires sans fondements historiques.

Face à cette critique, les catholiques lancent des enquêtes sur la vie des saints, et n’hésitent pas à éliminer un certain nombre de personnages sur le territoire, en les assimilant à des saints plus connus. Un Martin local est relié à saint Martin de Tours, un Jacut devient Jacques… Cela permet de faire rentrer dans le rang toute une série de saints locaux totalement inconnus, ne reposant sur aucune source écrite, et de les réunir dans le cadre de l’église universelle. En Bretagne, avec des saints aux prénoms bien spécifiques, cela était plus compliqué ! »

LE TELEGRAMME 18.07.2018
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