Série. 4. Saint Tugdual, l’épopée armoricaine
LA SANDALETTE DE PLOUHA :: HISTORIQUE FORUM POUBELLE :: INFOS BRETAGNE :: CULTURE BZH :: 2019 et avant
Page 1 sur 1
Série. 4. Saint Tugdual, l’épopée armoricaine
Publié le 30 juillet 2018 à 10h03
Comme de nombreux moines évangélisateurs, saint Tugdual a dû neutraliser le dragon. C’est en référence à cette légende que figure sur le drapeau du Trégor un dragon rouge. Sa statue dans la Vallée des Saints à Carnoët est l’œuvre d’Olivier Lévêque.
On dénombre environ 800 saints dans la région. Parmi eux, saint Tugdual, fondateur de l’évêché de Tréguier, est considéré comme l’un des sept saints fondateurs de la Bretagne. Né au pays de Galles au Ve siècle, il a contribué au vaste mouvement d’émigration et d’évangélisation de l’Armorique. Son culte est resté vivace jusqu’à nos jours.
Dès le Ve siècle s’ouvre, entre le sud de l’actuelle Grande-Bretagne et l’Armorique, un important courant migratoire via la Manche, qui va s’étaler sur trois siècles. De nouvelles populations viennent peupler progressivement la péninsule armoricaine : probablement plus chrétiennes que les autochtones, elles sont accompagnées d’ermites et de moines. Parmi eux : saint Tugdual, aussi dénommé Tual, Tudual, Pabu ou Paban. D’après son hagiographie, c’est-à-dire le texte qui relate sa vie, écrit quelques siècles plus tard, saint Tugdual naît vers 490, dans l’actuel Devonshire, au sud de l’Angleterre. Il est le fils de Hywal Mawr Hoël et d’Alma Pompaca Coupaia. Neveu de saint Brieuc, il serait aussi le cousin de saint Rivoal et petit-fils du roi breton Conan Mériadec.
Comme la plupart des autres saints, Tugdual est d’origine aristocratique : « Ce ne sont pas des fils du peuple, ce sont des enfants de rois et de princes qui choisissent la voie spirituelle plutôt que la voie temporelle », décrypte Bernard Rio, qui a consacré un ouvrage d’envergure sur les saints bretons. La seule vitae de saint Tugdual conservée aujourd’hui date du IXe siècle. Elle est l’œuvre de l’abbé Gurdisten, qui a aussi composé celle de saint Guénolé (en breton Gwenole), le fondateur de l’abbaye de Landévennec. Ce type de textes se plie aux usages latins des Vies classiques, avec calendrier liturgique et martyrologie, mais ils s’inspirent aussi de contes et de légendes. Un singulier syncrétisme : « Ces productions hagiographiques sont demeurées sans vergogne « préchrétiennes » dans leur thématique et surtout dans leur dramatis personae qui seraient à 90 % d’origine païenne », écrit Nathalie Stalmans, romancière et historienne. Si l’on en croit son hagiographe, Tugdual entre au monastère de Llanitud au pays de Galles, puis émigre en Armorique vers 520, avec soixante-douze disciples dont sa mère et sa sœur, sainte Sève.
Débarquement à Porz Pabu
« Ces migrants introduisent les noms des contrées de départ : la Domnonée britannique, qui deviendra le Devon, se retrouve pour désigner le nord de la péninsule, lieu d’arrivée de la plupart des migrants, et le peuple des Cornovii donnera, dans l’île comme sur le continent, la Cornouaille », rappelle Alain Croix, historien spécialiste de la Bretagne. Saint Tugdual débarque quant à lui sur l’actuelle côte du Nord-Finistère, à Porz Pabu, et fonde un premier ermitage à Ploumoguer. « Ces ecclésiastiques sont des moines et des ermites, ils représentent le clergé régulier et s’installent à la campagne, en dehors de la vie profane », relate Bernard Rio.
Dans son hagiographie, Gurdisten raconte que Tugdual fut l’un des quatre piliers qui firent la grandeur de la Cornouaille avec Gradlon, Corentin et Guénolé. « Il est le premier et le plus grand : il fut un exemple pour les moines », assure Gurdisten.
Saint Tugdual semble donc avoir été l’un des grands évangélisateurs du pays bigouden, du Cap Sizun et de la région quimpéroise. Plus tard, il fonde Lan Treger, le monastère de Tréguier. Une démarche de christianisation originale : alors qu’en Gaule, la christianisation s’étend à partir de ville-évêchés dont le territoire se subdivise ensuite en paroisses, chez ces ecclésiastiques immigrés en revanche, chaque communauté s’organise de manière autonome autour de son saint personnage, souvent un ancien ermite, parfois le futur abbé d’un monastère, qui donne son patronyme aux paroisses : elles sont constituées par des noms en Plou- (issu du latin Plebs, peuple), comme par exemple Plouarzel (saint Armel), des noms en Lan - qui se rattachent à des fondations monastiques comme Landelo (saint Thélo), ou en Loc - comme Locqueltas (saint Gweltaz). Vers la fin du Ve siècle, l’ancienne Armorique commence à être dénommée Brittannia et ses habitants les Brittani ou Brittones. Saint Tugdual devient évêque en 532 et meurt à Tréguier le 30 novembre de l’année 564.
Les vertus magiques du saint
Comme la plupart des saints bretons, le merveilleux l’emporte toujours sur la martyrologie chrétienne classique : saint Tugdual fait partie des saints sauroctones, qui combattent le dragon, symbole de la vieille religion, et revêt alors une sorte de pouvoir magique. Son culte est attesté dès 993, date de la première canonisation papale, mais la dévotion des Bretons se prolonge jusqu’à nos jours : il est aujourd’hui invoqué contre l’épilepsie et les fièvres, à Combrit ou à Pabu. À Tréguidel, les personnes souffrant de rhumatismes s’assoient sur une pierre où l’on raconte que saint Tugdual y a laissé les traces de ses genoux, de son coude et d’un petit doigt. Symbole de ce lien avec la terre de sa naissance au Ve siècle, saint Tugdual est également toujours honoré au pays de Galles, à Tudweiliog dans le Gwynedd.
Pour en savoir plus
Alain Croix, « La Bretagne entre histoire et identité », Découvertes Gallimard, 2008.
Bernard Rio, « Le livre des saints bretons », éditions Ouest-France, 2016.
Nathalie Stalsmans, « Saints d’Irlande. Analyse critique des sources hagiographiques, VIIe-IXe siècles », PUR, 2003
en complément
Le Tro Breiz : un pèlerinage au goût de son temps
Ce lundi 30 juillet, plus de 1 000 pèlerins s’élanceront de Tréguier, capitale de l’évêché créé par saint Tugdual, pour rejoindre la ville de Saint-Brieuc le 4 août, au terme de cinq grandes journées de marche. Il s’agit de l’une des étapes du fameux Tro Breiz (ou Breizh), qui signifie « le tour de la Bretagne ». L’origine de ce pèlerinage remonte au Moyen Âge et plonge ses racines au cœur des traditions pré-chrétiennes. À raison d’une semaine de marche par an, les participants relient en sept ans les sept évêchés.
Ils rendent successivement hommage aux saints fondateurs de la Bretagne : Corentin à Quimper, Pol Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieuc et Malo dans les villes qui portent leurs noms, Samson à Dol et Patern à Vannes. Autrefois, les pèlerins se mettaient en route quinze jours avant les fêtes de Pâques, de la Pentecôte, de la Saint-Michel ou bien encore de Noël, pour accomplir cette boucle historique, sur les pas des Sept Saints. Un vieil adage affirme d’ailleurs que tout Breton qui accomplit le Tro Breiz de son vivant est certain de gagner son paradis.
Sinon, il devra le faire après sa mort en avançant chaque année de la longueur de son cercueil ! Après être tombé en désuétude, le Tro Breiz fut relancé en 1994 par un groupe de passionnés. Cette année 2018 inaugure une dimension territoriale inédite, qui se prolongera jusqu’en 2026 : les pèlerins passeront désormais par Rennes en 2021 et Nantes en 2022, dans une Bretagne qu’ils veulent à cinq départements.
Le Télégramme https://www.letelegramme.fr/
Comme de nombreux moines évangélisateurs, saint Tugdual a dû neutraliser le dragon. C’est en référence à cette légende que figure sur le drapeau du Trégor un dragon rouge. Sa statue dans la Vallée des Saints à Carnoët est l’œuvre d’Olivier Lévêque.
On dénombre environ 800 saints dans la région. Parmi eux, saint Tugdual, fondateur de l’évêché de Tréguier, est considéré comme l’un des sept saints fondateurs de la Bretagne. Né au pays de Galles au Ve siècle, il a contribué au vaste mouvement d’émigration et d’évangélisation de l’Armorique. Son culte est resté vivace jusqu’à nos jours.
Dès le Ve siècle s’ouvre, entre le sud de l’actuelle Grande-Bretagne et l’Armorique, un important courant migratoire via la Manche, qui va s’étaler sur trois siècles. De nouvelles populations viennent peupler progressivement la péninsule armoricaine : probablement plus chrétiennes que les autochtones, elles sont accompagnées d’ermites et de moines. Parmi eux : saint Tugdual, aussi dénommé Tual, Tudual, Pabu ou Paban. D’après son hagiographie, c’est-à-dire le texte qui relate sa vie, écrit quelques siècles plus tard, saint Tugdual naît vers 490, dans l’actuel Devonshire, au sud de l’Angleterre. Il est le fils de Hywal Mawr Hoël et d’Alma Pompaca Coupaia. Neveu de saint Brieuc, il serait aussi le cousin de saint Rivoal et petit-fils du roi breton Conan Mériadec.
Comme la plupart des autres saints, Tugdual est d’origine aristocratique : « Ce ne sont pas des fils du peuple, ce sont des enfants de rois et de princes qui choisissent la voie spirituelle plutôt que la voie temporelle », décrypte Bernard Rio, qui a consacré un ouvrage d’envergure sur les saints bretons. La seule vitae de saint Tugdual conservée aujourd’hui date du IXe siècle. Elle est l’œuvre de l’abbé Gurdisten, qui a aussi composé celle de saint Guénolé (en breton Gwenole), le fondateur de l’abbaye de Landévennec. Ce type de textes se plie aux usages latins des Vies classiques, avec calendrier liturgique et martyrologie, mais ils s’inspirent aussi de contes et de légendes. Un singulier syncrétisme : « Ces productions hagiographiques sont demeurées sans vergogne « préchrétiennes » dans leur thématique et surtout dans leur dramatis personae qui seraient à 90 % d’origine païenne », écrit Nathalie Stalmans, romancière et historienne. Si l’on en croit son hagiographe, Tugdual entre au monastère de Llanitud au pays de Galles, puis émigre en Armorique vers 520, avec soixante-douze disciples dont sa mère et sa sœur, sainte Sève.
Débarquement à Porz Pabu
« Ces migrants introduisent les noms des contrées de départ : la Domnonée britannique, qui deviendra le Devon, se retrouve pour désigner le nord de la péninsule, lieu d’arrivée de la plupart des migrants, et le peuple des Cornovii donnera, dans l’île comme sur le continent, la Cornouaille », rappelle Alain Croix, historien spécialiste de la Bretagne. Saint Tugdual débarque quant à lui sur l’actuelle côte du Nord-Finistère, à Porz Pabu, et fonde un premier ermitage à Ploumoguer. « Ces ecclésiastiques sont des moines et des ermites, ils représentent le clergé régulier et s’installent à la campagne, en dehors de la vie profane », relate Bernard Rio.
Dans son hagiographie, Gurdisten raconte que Tugdual fut l’un des quatre piliers qui firent la grandeur de la Cornouaille avec Gradlon, Corentin et Guénolé. « Il est le premier et le plus grand : il fut un exemple pour les moines », assure Gurdisten.
Saint Tugdual semble donc avoir été l’un des grands évangélisateurs du pays bigouden, du Cap Sizun et de la région quimpéroise. Plus tard, il fonde Lan Treger, le monastère de Tréguier. Une démarche de christianisation originale : alors qu’en Gaule, la christianisation s’étend à partir de ville-évêchés dont le territoire se subdivise ensuite en paroisses, chez ces ecclésiastiques immigrés en revanche, chaque communauté s’organise de manière autonome autour de son saint personnage, souvent un ancien ermite, parfois le futur abbé d’un monastère, qui donne son patronyme aux paroisses : elles sont constituées par des noms en Plou- (issu du latin Plebs, peuple), comme par exemple Plouarzel (saint Armel), des noms en Lan - qui se rattachent à des fondations monastiques comme Landelo (saint Thélo), ou en Loc - comme Locqueltas (saint Gweltaz). Vers la fin du Ve siècle, l’ancienne Armorique commence à être dénommée Brittannia et ses habitants les Brittani ou Brittones. Saint Tugdual devient évêque en 532 et meurt à Tréguier le 30 novembre de l’année 564.
Les vertus magiques du saint
Comme la plupart des saints bretons, le merveilleux l’emporte toujours sur la martyrologie chrétienne classique : saint Tugdual fait partie des saints sauroctones, qui combattent le dragon, symbole de la vieille religion, et revêt alors une sorte de pouvoir magique. Son culte est attesté dès 993, date de la première canonisation papale, mais la dévotion des Bretons se prolonge jusqu’à nos jours : il est aujourd’hui invoqué contre l’épilepsie et les fièvres, à Combrit ou à Pabu. À Tréguidel, les personnes souffrant de rhumatismes s’assoient sur une pierre où l’on raconte que saint Tugdual y a laissé les traces de ses genoux, de son coude et d’un petit doigt. Symbole de ce lien avec la terre de sa naissance au Ve siècle, saint Tugdual est également toujours honoré au pays de Galles, à Tudweiliog dans le Gwynedd.
Pour en savoir plus
Alain Croix, « La Bretagne entre histoire et identité », Découvertes Gallimard, 2008.
Bernard Rio, « Le livre des saints bretons », éditions Ouest-France, 2016.
Nathalie Stalsmans, « Saints d’Irlande. Analyse critique des sources hagiographiques, VIIe-IXe siècles », PUR, 2003
en complément
Le Tro Breiz : un pèlerinage au goût de son temps
Ce lundi 30 juillet, plus de 1 000 pèlerins s’élanceront de Tréguier, capitale de l’évêché créé par saint Tugdual, pour rejoindre la ville de Saint-Brieuc le 4 août, au terme de cinq grandes journées de marche. Il s’agit de l’une des étapes du fameux Tro Breiz (ou Breizh), qui signifie « le tour de la Bretagne ». L’origine de ce pèlerinage remonte au Moyen Âge et plonge ses racines au cœur des traditions pré-chrétiennes. À raison d’une semaine de marche par an, les participants relient en sept ans les sept évêchés.
Ils rendent successivement hommage aux saints fondateurs de la Bretagne : Corentin à Quimper, Pol Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieuc et Malo dans les villes qui portent leurs noms, Samson à Dol et Patern à Vannes. Autrefois, les pèlerins se mettaient en route quinze jours avant les fêtes de Pâques, de la Pentecôte, de la Saint-Michel ou bien encore de Noël, pour accomplir cette boucle historique, sur les pas des Sept Saints. Un vieil adage affirme d’ailleurs que tout Breton qui accomplit le Tro Breiz de son vivant est certain de gagner son paradis.
Sinon, il devra le faire après sa mort en avançant chaque année de la longueur de son cercueil ! Après être tombé en désuétude, le Tro Breiz fut relancé en 1994 par un groupe de passionnés. Cette année 2018 inaugure une dimension territoriale inédite, qui se prolongera jusqu’en 2026 : les pèlerins passeront désormais par Rennes en 2021 et Nantes en 2022, dans une Bretagne qu’ils veulent à cinq départements.
Le Télégramme https://www.letelegramme.fr/
Sujets similaires
» Série. 6. Malo, le saint navigateur
» Série. 3. Pol Aurélien, le saint qui tua le dragon
» Série. 5. Saint Brieuc, fondateur de monastères
» Série. 1. Saint Patern, le moine pacificateur
» Série. 2. La vie de saint Corentin, une histoire politique
» Série. 3. Pol Aurélien, le saint qui tua le dragon
» Série. 5. Saint Brieuc, fondateur de monastères
» Série. 1. Saint Patern, le moine pacificateur
» Série. 2. La vie de saint Corentin, une histoire politique
LA SANDALETTE DE PLOUHA :: HISTORIQUE FORUM POUBELLE :: INFOS BRETAGNE :: CULTURE BZH :: 2019 et avant
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum