Finistère. Un laboratoire républicain original
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Finistère. Un laboratoire républicain original
Publié le 16 septembre 2018 à 09h00
En 1902, la foule s’oppose à l’expulsion de la congrégation des Filles du Saint-Esprit, un ordre breton à la tête de 37 écoles, comme ici à Concarneau le 13 août ou encore à Douarnenez, des ports de pêche pourtant traditionnellement acquis aux idées anticléricales et républicaines.
Le Télégramme
Dans la période post-révolutionnaire, l’intégration politique et culturelle des régions périphériques françaises fut longue et complexe. Le Finistère a, quant à lui, suivi un processus inédit. L’acculturation politique des habitants de ce département s’est notamment produite par le biais d’un mouvement politique se rattachant au catholicisme social, qui émergea à la fin du XIXe.
Longtemps, les historiens ont analysé l’intégration politique de la France rurale, en décrivant de quelle manière les valeurs urbaines se disséminent peu à peu dans les campagnes et comment les changements socio-économiques éliminent peu à peu les pratiques culturelles et politiques des territoires. Le rôle joué par la religion a en revanche été peu exploré.
Ce fut l’objet d’une étude menée il y a vingt ans par Caroline Ford, une historienne américaine, qui mit en évidence le rôle original joué par les institutions religieuses dans ce processus complexe de résistance et de négociations avec l’État central, dans un ouvrage qui vient d’être traduit en français aux Presses Universitaires de Rennes. Une étude éclairante : « La manière dont la nation fut créée en Basse Bretagne a été largement déterminée par les conflits religieux qui accompagnèrent les tentatives de l’État d’imposer une conception laïque et républicaine de la nation aux provinces périphériques et par l’émergence d’un catholicisme social », souligne-t-elle. L’exemple du Finistère est particulièrement original : dans ce département, contrairement à l’Ille-et-Vilaine, « le progrès des idées républicaines ne coïncida ni avec une décléricalisation ni avec une déchristianisation de la population », ajoute Caroline Ford.
Des républicains bretons contre Combes
Entre 1890 et 1926, la Bretagne connaît un apogée démographique, qui se traduit par une forte pression foncière et occasionne une émigration massive. L’intégration économique de la région au niveau national démarre grâce au chemin de fer. L’intégration politique, quant à elle, se réalise notamment dans l’affrontement entre l’Église et l’État. À ce titre, l’étude de la vie politique et religieuse bretonne entre 1890 et 1925 dans le Finistère apporte des éléments nouveaux.
Pour le comprendre, il convient de rappeler l’extraordinaire vitalité du catholicisme en Basse Bretagne qui se manifeste par une pratique pascale et dominicale très active, alliée à une religion plus rustique basée sur le culte des saints et une relation spécifique avec la mort. « Dans ces conditions le conflit est pratiquement inéluctable avec la mission civilisatrice de la République », explique Michel Lagrée, historien spécialiste de la religion en Bretagne. La loi sur les associations de 1901, qui soumet les congrégations religieuses à un régime d’exception, puis l’arrivée au pouvoir d’Émile Combes mettent le feu aux poudres.
En Basse Bretagne, des manifestations publiques d’envergure se multiplient. En 1902, des républicains convaincus s’opposent à l’expulsion de la congrégation des Filles du Saint-Esprit, un ordre breton à la tête de 37 écoles, même à Concarneau ou Douarnenez, des ports de pêche traditionnellement acquis aux idées anticléricales et républicaines. Une opposition totalement inédite.
Appel à rallier la République
La présence du catholicisme social n’est pas étrangère à l’affaire. Ce mouvement s’ancre profondément dans cette terre catholique du Finistère. L’un de ses piliers repose sur le bas clergé, recruté dans la paysannerie. À partir des années 1890, en effet, « le bas clergé du Finistère tranche les liens qui le rattachaient à la noblesse en répudiant ses convictions royalistes et en épousant les convictions du catholicisme social », raconte Caroline Ford. Contrairement à ses confrères d’autres régions, le clergé finistérien répond à l’appel du Pape, enjoignant aux catholiques de se rallier à la République. Ces prêtres soutiennent même des candidats du catholicisme social aux élections contre les royalistes en place : c’est le cas en 1983 quand le bas clergé du Nord-Finistère apporte son soutien à la candidature d’Albert de Mun, pour remplacer le poste vacant du compte de Kermenguy. Idem en 1896 lors du soutien à l’abbé Gayraud, un prêtre dominicain proche de la démocrate chrétienne, candidat dans la 3e circonscription de Brest.
Pour Caroline Ford, cet exemple finistérien montre l’importance du conflit entre l’Église et l’État dans l’émergence d’une conscience nationale. Elle remarque que « la création de la nation dans la péninsule armoricaine n’entraîna pas nécessairement la répudiation ou la disparition des identités collectives régionales. » Enfin, l’historienne américaine ajoute que cette acculturation politique originale de la Basse Bretagne relève aussi de la fin des notables : au début de la IIIe République, une élite clérico-aristocratique est remplacée par une nouvelle bourgeoisie (médecins, notaires..), tandis qu’apparaît une nouvelle classe ouvrière dans les arsenaux et le monde paysan. Ces nouvelles structures émergentes vont modifier en profondeur le paysage politique de la région.
Pour en savoir plus
Caroline Ford, « De la province à la nation. Religion et identité politique en Bretagne ». Traduit de l’anglais par Patrick Galliou. PUR 2018.
Michel Lagrée, « Religion et cultures en Bretagne », Fayard, 1992.
en complément
Un bastion du catholicisme social
Le catholicisme social est un courant de pensée né en 1871, avec la fondation des « Cercles catholiques d’ouvriers » et de « L’Union des œuvres ouvrières catholiques » par Albert de Mun et Maurice Maignen. Le Sillon, un mouvement de jeunesse du catholicisme social, naît à Paris en 1894. Rapidement, le Finistère devient l’un des bastions du sillonisme. Il se définit comme étant un mouvement catholique se consacrant à la réforme sociale et recrute auprès du bas clergé, issu de la paysannerie, en conflit de plus en plus ouvert avec la noblesse. Parmi eux : les prêtres démocrates, qui avaient soutenu Gayraud et De Mun, mais aussi des membres de la classe ouvrière, à Brest et à Quimper.
L’un des groupes les plus actifs est basé à la paroisse de Saint-Louis à Brest : ses membres y créent une coopérative de consommateurs, une bibliothèque, un syndicat. Après 1906, le Sillon rencontre un certain succès dans les campagnes, en mettant sur pied des syndicats, notamment au sein du milieu des petits fermiers et des cercles d’études ruraux. Des sillonistes du Léon lancent même une revue, Ann Hader, « Le semeur », consacrée au syndicalisme agricole.
Les militants du catholicisme social introduisent de nouvelles formes d’actions politiques, comme des réunions publiques qui bouleversent les habitudes politiques. Tout en faisant allégeance à une nation républicaine, ces groupes locaux refusent de renoncer à leur identité religieuse ou régionale. En 1911, des sillonistes finistériens créent la Fédération des Républicains Démocrates (FRDF), qui devient un acteur majeur de la vie politique locale dans l’entre-deux-guerres. Un courant de pensée original : la FRDF milite en effet pour l’unité et la pluralité de la nation française, en défendant l’idée que la préservation de la culture et de la langue bretonnes sont compatibles avec la légitimité de la nation.
En 1902, la foule s’oppose à l’expulsion de la congrégation des Filles du Saint-Esprit, un ordre breton à la tête de 37 écoles, comme ici à Concarneau le 13 août ou encore à Douarnenez, des ports de pêche pourtant traditionnellement acquis aux idées anticléricales et républicaines.
Le Télégramme
Dans la période post-révolutionnaire, l’intégration politique et culturelle des régions périphériques françaises fut longue et complexe. Le Finistère a, quant à lui, suivi un processus inédit. L’acculturation politique des habitants de ce département s’est notamment produite par le biais d’un mouvement politique se rattachant au catholicisme social, qui émergea à la fin du XIXe.
Longtemps, les historiens ont analysé l’intégration politique de la France rurale, en décrivant de quelle manière les valeurs urbaines se disséminent peu à peu dans les campagnes et comment les changements socio-économiques éliminent peu à peu les pratiques culturelles et politiques des territoires. Le rôle joué par la religion a en revanche été peu exploré.
Ce fut l’objet d’une étude menée il y a vingt ans par Caroline Ford, une historienne américaine, qui mit en évidence le rôle original joué par les institutions religieuses dans ce processus complexe de résistance et de négociations avec l’État central, dans un ouvrage qui vient d’être traduit en français aux Presses Universitaires de Rennes. Une étude éclairante : « La manière dont la nation fut créée en Basse Bretagne a été largement déterminée par les conflits religieux qui accompagnèrent les tentatives de l’État d’imposer une conception laïque et républicaine de la nation aux provinces périphériques et par l’émergence d’un catholicisme social », souligne-t-elle. L’exemple du Finistère est particulièrement original : dans ce département, contrairement à l’Ille-et-Vilaine, « le progrès des idées républicaines ne coïncida ni avec une décléricalisation ni avec une déchristianisation de la population », ajoute Caroline Ford.
Des républicains bretons contre Combes
Entre 1890 et 1926, la Bretagne connaît un apogée démographique, qui se traduit par une forte pression foncière et occasionne une émigration massive. L’intégration économique de la région au niveau national démarre grâce au chemin de fer. L’intégration politique, quant à elle, se réalise notamment dans l’affrontement entre l’Église et l’État. À ce titre, l’étude de la vie politique et religieuse bretonne entre 1890 et 1925 dans le Finistère apporte des éléments nouveaux.
Pour le comprendre, il convient de rappeler l’extraordinaire vitalité du catholicisme en Basse Bretagne qui se manifeste par une pratique pascale et dominicale très active, alliée à une religion plus rustique basée sur le culte des saints et une relation spécifique avec la mort. « Dans ces conditions le conflit est pratiquement inéluctable avec la mission civilisatrice de la République », explique Michel Lagrée, historien spécialiste de la religion en Bretagne. La loi sur les associations de 1901, qui soumet les congrégations religieuses à un régime d’exception, puis l’arrivée au pouvoir d’Émile Combes mettent le feu aux poudres.
En Basse Bretagne, des manifestations publiques d’envergure se multiplient. En 1902, des républicains convaincus s’opposent à l’expulsion de la congrégation des Filles du Saint-Esprit, un ordre breton à la tête de 37 écoles, même à Concarneau ou Douarnenez, des ports de pêche traditionnellement acquis aux idées anticléricales et républicaines. Une opposition totalement inédite.
Appel à rallier la République
La présence du catholicisme social n’est pas étrangère à l’affaire. Ce mouvement s’ancre profondément dans cette terre catholique du Finistère. L’un de ses piliers repose sur le bas clergé, recruté dans la paysannerie. À partir des années 1890, en effet, « le bas clergé du Finistère tranche les liens qui le rattachaient à la noblesse en répudiant ses convictions royalistes et en épousant les convictions du catholicisme social », raconte Caroline Ford. Contrairement à ses confrères d’autres régions, le clergé finistérien répond à l’appel du Pape, enjoignant aux catholiques de se rallier à la République. Ces prêtres soutiennent même des candidats du catholicisme social aux élections contre les royalistes en place : c’est le cas en 1983 quand le bas clergé du Nord-Finistère apporte son soutien à la candidature d’Albert de Mun, pour remplacer le poste vacant du compte de Kermenguy. Idem en 1896 lors du soutien à l’abbé Gayraud, un prêtre dominicain proche de la démocrate chrétienne, candidat dans la 3e circonscription de Brest.
Pour Caroline Ford, cet exemple finistérien montre l’importance du conflit entre l’Église et l’État dans l’émergence d’une conscience nationale. Elle remarque que « la création de la nation dans la péninsule armoricaine n’entraîna pas nécessairement la répudiation ou la disparition des identités collectives régionales. » Enfin, l’historienne américaine ajoute que cette acculturation politique originale de la Basse Bretagne relève aussi de la fin des notables : au début de la IIIe République, une élite clérico-aristocratique est remplacée par une nouvelle bourgeoisie (médecins, notaires..), tandis qu’apparaît une nouvelle classe ouvrière dans les arsenaux et le monde paysan. Ces nouvelles structures émergentes vont modifier en profondeur le paysage politique de la région.
Pour en savoir plus
Caroline Ford, « De la province à la nation. Religion et identité politique en Bretagne ». Traduit de l’anglais par Patrick Galliou. PUR 2018.
Michel Lagrée, « Religion et cultures en Bretagne », Fayard, 1992.
en complément
Un bastion du catholicisme social
Le catholicisme social est un courant de pensée né en 1871, avec la fondation des « Cercles catholiques d’ouvriers » et de « L’Union des œuvres ouvrières catholiques » par Albert de Mun et Maurice Maignen. Le Sillon, un mouvement de jeunesse du catholicisme social, naît à Paris en 1894. Rapidement, le Finistère devient l’un des bastions du sillonisme. Il se définit comme étant un mouvement catholique se consacrant à la réforme sociale et recrute auprès du bas clergé, issu de la paysannerie, en conflit de plus en plus ouvert avec la noblesse. Parmi eux : les prêtres démocrates, qui avaient soutenu Gayraud et De Mun, mais aussi des membres de la classe ouvrière, à Brest et à Quimper.
L’un des groupes les plus actifs est basé à la paroisse de Saint-Louis à Brest : ses membres y créent une coopérative de consommateurs, une bibliothèque, un syndicat. Après 1906, le Sillon rencontre un certain succès dans les campagnes, en mettant sur pied des syndicats, notamment au sein du milieu des petits fermiers et des cercles d’études ruraux. Des sillonistes du Léon lancent même une revue, Ann Hader, « Le semeur », consacrée au syndicalisme agricole.
Les militants du catholicisme social introduisent de nouvelles formes d’actions politiques, comme des réunions publiques qui bouleversent les habitudes politiques. Tout en faisant allégeance à une nation républicaine, ces groupes locaux refusent de renoncer à leur identité religieuse ou régionale. En 1911, des sillonistes finistériens créent la Fédération des Républicains Démocrates (FRDF), qui devient un acteur majeur de la vie politique locale dans l’entre-deux-guerres. Un courant de pensée original : la FRDF milite en effet pour l’unité et la pluralité de la nation française, en défendant l’idée que la préservation de la culture et de la langue bretonnes sont compatibles avec la légitimité de la nation.
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