Le soldat polonais infiltré à Auschwitz
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Le soldat polonais infiltré à Auschwitz
Pascal Ory
Gaétan Nocq raconte l'épopée de Witold Pilecki, qui rédigea deux rapports sur le camp d'extermination.
Disons-le nettement : on n'accueille pas de manière innocente un album de BD sur l'univers concentrationnaire nazi. Depuis le Maus d'Art Spiegelman on sait que la représentation de cette forme extrême de violence se heurte à de vraies difficultés, où l'éthique l'emporte nettement sur l'esthétique. Les polémiques récurrentes sur les films l'ayant prise pour objet en témoignent. A sa manière Le Rapport W apporte une réponse convaincante à toutes ces interrogations.
Un premier élément de la réponse tient dans la qualité formelle de l'ouvrage. Les bons connaisseurs de la BD en général et de BD historique en particulier connaissent déjà Gaétan Nocq. Nous avions salué ici son Soleil brûlant en Algérie (La Boîte à bulles, 2016). Cette adaptation des carnets de guerre du soldat Tikhomiroff était suivie d'un autre témoignage, portant cette fois sur la guerre civile russe entre Blancs et Rouges.
Dans Le Rapport W, la science des types humains est sublimée par celle des couleurs, qui nous entraîne dans une série d'ambiances chromatiques très prenantes.
Le tour de force artistique est d'autant plus remarquable qu'on ne quitte guère l'enceinte du camp d'Auschwitz, où le héros, Witold Pilecki, est resté enfermé 947 jours. Mais l'homogénéité du traitement graphique, qui rapproche la dernière séquence (Varsovie, 1947) des précédentes, suggère que le monde de l'après-guerre n'aura pas été celui de la liberté pure et parfaite.
Déporté volontaire
Le tragique du destin de Pilecki s'inscrit là, en effet : arrêté en 1947 sous l'accusation d'espionnage au profit de l'Occident « impérialiste », il sera exécuté le 25 mai 1948. Le chef du gouvernement communiste de l'époque, Cyrankiewicz, est lui-même un ancien déporté d'Auschwitz. Ce n'est que récemment - en France en 2014 avec Le Rapport Pilecki (Champ Vallon, l'édition scientifique du texte est due à Isabelle Davion, conseillère historique de Gaétan Nocq) - qu'a été sortie de l'oubli cette figure, persécutée par deux totalitarismes, sans doute, mais, surtout, l'un des personnages les plus extraordinaires de son époque.
Car Pilecki, officier de l'armée polonaise, s'est retrouvé dans la situation, difficilement imaginable, de déporté volontaire, intégré, de sa propre initiative, à la rafle de Varsovie du 19 septembre 1940. Sa mission est d'organiser, dans cette ancienne caserne autrichienne d'Oswiecim transformée en camp de concentration, un groupe de résistants. Le but est d'informer le gouvernement polonais en exil sur ce qu'il se passait là-bas puis de préparer l'insurrection du camp, sous l'égide des « triangles rouges » (détenus politiques), catégorie dominante jusqu'à l'arrivée massive des Juifs, à partir de 1942. Le projet, trop rationnel, se fracasse sur la réalité de la machine à détruire, à humilier et à terroriser mise en oeuvre par le Reich. Mais il donne à Pilecki, qui réussit à s'évader d'Auschwitz en 1943, la possibilité - c'est pour cela qu'il passera à la postérité - de rédiger deux remarquables rapports, dont le dossier de l'album nous montre deux courts extraits, très impressionnants. Le tout en pure perte, évidemment.
Il faut un bien grand talent pour transcender comme le fait Gaétan Nocq l'un des épisodes les plus monstrueux de l'histoire de l'humanité. Il faut une bien grande humanité pour, dans le traitement graphique de ces atrocités, garder aux victimes ce que les nazis n'ont pas toujours réussi à leur voler : leur dignité.
Le Rapport W. Infiltré à Auschwitz G. Nocq Daniel Maghen, 2019.
Gaétan Nocq raconte l'épopée de Witold Pilecki, qui rédigea deux rapports sur le camp d'extermination.
Disons-le nettement : on n'accueille pas de manière innocente un album de BD sur l'univers concentrationnaire nazi. Depuis le Maus d'Art Spiegelman on sait que la représentation de cette forme extrême de violence se heurte à de vraies difficultés, où l'éthique l'emporte nettement sur l'esthétique. Les polémiques récurrentes sur les films l'ayant prise pour objet en témoignent. A sa manière Le Rapport W apporte une réponse convaincante à toutes ces interrogations.
Un premier élément de la réponse tient dans la qualité formelle de l'ouvrage. Les bons connaisseurs de la BD en général et de BD historique en particulier connaissent déjà Gaétan Nocq. Nous avions salué ici son Soleil brûlant en Algérie (La Boîte à bulles, 2016). Cette adaptation des carnets de guerre du soldat Tikhomiroff était suivie d'un autre témoignage, portant cette fois sur la guerre civile russe entre Blancs et Rouges.
Dans Le Rapport W, la science des types humains est sublimée par celle des couleurs, qui nous entraîne dans une série d'ambiances chromatiques très prenantes.
Le tour de force artistique est d'autant plus remarquable qu'on ne quitte guère l'enceinte du camp d'Auschwitz, où le héros, Witold Pilecki, est resté enfermé 947 jours. Mais l'homogénéité du traitement graphique, qui rapproche la dernière séquence (Varsovie, 1947) des précédentes, suggère que le monde de l'après-guerre n'aura pas été celui de la liberté pure et parfaite.
Déporté volontaire
Le tragique du destin de Pilecki s'inscrit là, en effet : arrêté en 1947 sous l'accusation d'espionnage au profit de l'Occident « impérialiste », il sera exécuté le 25 mai 1948. Le chef du gouvernement communiste de l'époque, Cyrankiewicz, est lui-même un ancien déporté d'Auschwitz. Ce n'est que récemment - en France en 2014 avec Le Rapport Pilecki (Champ Vallon, l'édition scientifique du texte est due à Isabelle Davion, conseillère historique de Gaétan Nocq) - qu'a été sortie de l'oubli cette figure, persécutée par deux totalitarismes, sans doute, mais, surtout, l'un des personnages les plus extraordinaires de son époque.
Car Pilecki, officier de l'armée polonaise, s'est retrouvé dans la situation, difficilement imaginable, de déporté volontaire, intégré, de sa propre initiative, à la rafle de Varsovie du 19 septembre 1940. Sa mission est d'organiser, dans cette ancienne caserne autrichienne d'Oswiecim transformée en camp de concentration, un groupe de résistants. Le but est d'informer le gouvernement polonais en exil sur ce qu'il se passait là-bas puis de préparer l'insurrection du camp, sous l'égide des « triangles rouges » (détenus politiques), catégorie dominante jusqu'à l'arrivée massive des Juifs, à partir de 1942. Le projet, trop rationnel, se fracasse sur la réalité de la machine à détruire, à humilier et à terroriser mise en oeuvre par le Reich. Mais il donne à Pilecki, qui réussit à s'évader d'Auschwitz en 1943, la possibilité - c'est pour cela qu'il passera à la postérité - de rédiger deux remarquables rapports, dont le dossier de l'album nous montre deux courts extraits, très impressionnants. Le tout en pure perte, évidemment.
Il faut un bien grand talent pour transcender comme le fait Gaétan Nocq l'un des épisodes les plus monstrueux de l'histoire de l'humanité. Il faut une bien grande humanité pour, dans le traitement graphique de ces atrocités, garder aux victimes ce que les nazis n'ont pas toujours réussi à leur voler : leur dignité.
Le Rapport W. Infiltré à Auschwitz G. Nocq Daniel Maghen, 2019.
Re: Le soldat polonais infiltré à Auschwitz
BD : “Le Rapport W.”, ou le récit d’un espion en plein camp d’Auschwitz
Laurence Le Saux Laurence Le Saux Publié le 22/06/2019.
De 1940 à 1943, il s’est plongé volontairement dans l’horreur d’Auschwitz pour en tirer un rapport, alertant les autorités polonaises. Dans cet album, Gaëtan Nocq met en images l’incroyable mission d’espionnage de Witold Pilecki. Fascinant.
La fiction n’aurait pas osé inventer une aventure aussi romanesque : en 1940, Witold Pilecki, officier de l’armée secrète polonaise, se fait emmener de son plein gré à Auschwitz. Sa mission ? Renseigner son pays sur ce qui se passe dans les camps de prisonniers tenus par les nazis, et monter un réseau de combattants, qui devient réseau d’entraide et de survie. Son Rapport W a inspiré la bande dessinée de Gaëtan Nocq (éd. Daniel Maghen). Il y retrace avec une grande sensibilité et sans pathos le quotidien d’un espion en milieu hautement dangereux.
L’appel
« Nous sommes en octobre 1940, le soir de l’arrivée du prisonnier Tomasz Serafinski — le nom d’emprunt de Witold Pilecki. Cet officier de l’armée secrète polonaise s’est fait rafler de son plein gré à Varsovie. Sa mission : aller voir ce qui se passe dans les camps de prisonniers. Il ne savait pas où il allait tomber, et voulait monter un soulèvement interne. Deux jours après, le voilà à Auschwitz où il découvre, sous la lumière des projecteurs, les violences extrêmes qui s’y pratiquent. Dix Polonais viennent d’être assassinés arbitrairement. Pendant la séquence de l’appel, il voit des kapos taper sur un prisonnier. Il se sent dans un cauchemar, dans une atmosphère irréelle, d’où le choix de teintes bleues et noires. Je le montre hésiter quand on appelle son nom d’emprunt, pour appuyer le fait qu’il opère sous une fausse identité. Pour cette scène, j’ai beaucoup pensé au film Funny Games de Michael Haneke, où toute la violence est hors champ. Les onomatopées graphiques, dans la dernière case, créent une ellipse : dans la page d’après, Witold apparaît le nez en sang.
Tous mes projets partent d’une rencontre. Dans ce cas, c’est Isabelle Davion, une historienne et amie qui m’a présenté le rapport Pilecki autour d’un café, puis me l’a offert. Je l’ai lu dans la foulée et l’ai trouvé envoûtant, fascinant. J’y ai trouvé un côté John Le Carré ! Pour cet homme, sa mission prime sur sa propre vie. Mais le contexte d’Auschwitz rendait difficile la mise en images de cette histoire… Comment montrer l’innommable, l’ignominie ? Comment raconter l’indicible ? Ce fut un vrai défi : j’ai tenté de ne pas tomber dans un voyeurisme mortifère. J’ai choisi la suggestion, le jeu du hors-champ pour évoquer les cadavres, les massacres. Au lecteur ensuite de compléter l’horreur par son imaginaire. »
La “roue de la mort”
« Tous les prisonniers se doivent d’intégrer un “kommando”, un atelier de travail. Pilecki est en retard ce matin-là : il a été viré car, en tant que responsable de sa chambrée, il ne voulait pas faire respecter la discipline et taper sur les autres. Le voilà embarqué dans une séance de gymnastique particulière, qui dure plusieurs jours : les nazis y font mourir les prisonniers d’épuisement. J’ai voulu montrer la perfidie des mots utilisés, “danser”, “rouler”, qui peuvent évoquer des jeux de cour de récréation. La vue aérienne permet de mettre en avant la vulnérabilité de ces gens, qui ressemblent à des petites figurines. Le choix de l’ocre vise à traduire un sentiment d’étouffement, d’angoisse. La dernière case tire vers le gris chaud, et sert de transition. La prochaine séquence nous fait sortir du camp. Dans cet album, la couleur donne du mouvement au récit.
Après avoir décidé d’adapter Le Rapport W en bande dessinée, j’ai voulu valider mon engagement en allant sur place, à Auschwitz. Je me suis imaginé dans la peau de Pilecki, et puis je me suis naturellement mis à dessiner les perspectives des bâtiments, le soleil qui tapait. J’ai passé trois jours là-bas, touché les objets, pris des photos pour pouvoir restituer des détails. Une proximité avec le lieu m’a été nécessaire, peut-être de par mon activité de carnettiste et de mon goût pour le terrain. J’y suis retourné une seconde fois, quand la bande dessinée était plus avancée. J’avais besoin de voir la nature qui entoure le camp, la végétation luxuriante. »
La boîte aux lettres
En 1942, le réseau de Pilecki est déjà bien construit. Il parvient à monter des opérations de contre-espionnage. Par exemple celle-ci, qui concerne la “boîte à mouchards” des nazis : cette boîte à lettres sert à récolter, sur dénonciation, des renseignements sur la résistance. Grace à son réseau, Pilecki récupère du kommando de serrurerie un double de la clé. Il y accède et remplace les courriers par des lettres de dénonciation… des dénonciateurs. J’ai voulu traduire dans cette séquence la peur de Witold et de son ami Slavek, un artiste un peu naïf. Les protagonistes se détachent en blanc dans l’ombre, pour symboliser leur angoisse. Quoi de plus inoffensif comme objet qu’une boîte à lettres ? Dans la dernière case, elle est représentée comme un personnage menaçant, avec une fente pour bouche et la serrure comme œil. Dans mon travail, je commence par la couleur, à l’acrylique : les masses structurent le dessin, elles font venir la forme. Je me tiens loin de la ligne claire ! Puis j’utilise le crayon pour les détails.
Ecrit en 1945, deux ans après sa libération, le rapport de Pilecki est très factuel, mais aussi sensible. Mes récitatifs sont basés dessus, et les dialogues inventés. Ils reprennent l’ironie, l’humour — même dans cet enfer sur terre ! —, l’humanité qu’on trouve dans le document original. Il reste très peu de traces des rapports envoyés par Pilecki à Varsovie, pendant sa captivité. En 1945, quand son rapport sort, il est étouffé. C’est trop tard, la Pologne est passée sous le joug soviétique, et Witold est considéré comme un ennemi politique. Lui qui aura sauvé des vies et organisé des évasions [dont la sienne propre, ndlr] sera fusillé en 1948. »
telerama
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