31 juillet 1864 : mort de Louis Hachette, fondateur de la maison d’édition éponyme
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31 juillet 1864 : mort de Louis Hachette, fondateur de la maison d’édition éponyme
(D’après « Notice sur la vie de Louis Hachette », paru en 1864)
Passant la rude école de la pauvreté dans sa jeunesse, contrarié par les persécutions politiques, Louis Hachette assista au couronnement de l’édifice qu’il avait fondé de ses propres mains, et vit sa modeste librairie parisienne prendre les proportions d’une fabrique immense jetant chaque jour sur le marché de l’esprit quinze à vingt mille volumes, et en faisant rayonner cent mille sur tous les chemins du monde
Fils de Jean Hachette et d’Elisabeth Ledouble, Louis Hachette est né à Rethel (Ardennes) le 5 mai 1800. Son père, qu’il perdit d’assez bonne heure, en 1837, était un homme instruit, doué d’excellentes manières et fort capable de faire son chemin dans le monde, si, à peine marié, des spéculations imprudentes ne lui avaient pas enlevé à lui, à sa femme et à ses enfants, jusqu’aux dernières ressources.
Madame Hachette, complètement ruinée, aurait pu trouver dans sa famille, qui était très considérée à Rethel, les secours dont elle avait besoin. On les lui offrit ; mais elle les refusa bravement, ne voulant devoir qu’à elle-même le pain de ses enfants. Elle résolut de se diriger vers Paris où elle ne connaissait pour ainsi dire personne, mais où elle espérait que son activité, son incomparable énergie et son amour passionné du travail lui donneraient une position. C’était surtout dans l’intérêt de son fils aîné, enfant de sept ou huit ans, qu’elle cherchait une issue.
elle rêvait pour lui une éducation complète et cette instruction virile que distribuaient les lycées de l’Empire. Son mari, malgré la distinction de son esprit, ne lui fut d’aucun secours dans une entreprise si difficile. Il avait même quelque peine à se suffire à lui-même. Mettant cependant à profit les connaissances fort étendues qu’il avait acquises en pharmacie, il obtint le grade de pharmacien en chef des armées impériales, assista aux dernières convulsions du premier Empire, revint en 1814 aussi pauvre qu’il était parti et s’estima trop heureux d’exercer un modeste emploi de pharmacien dans une des maisons hospitalières de Paris.
Louis Hachette
En attendant que se présentât une occasion propice, l’indigence frappait à la porte de madame Hachette. Ne voulant pas laisser son fils Louis perdre son temps, elle l’envoya à l’école chrétienne qui existait près de l’église Saint-Séverin. Le moyen le plus efficace de faire admettre son fils dans un établissement d’instruction publique, où les dispositions naturelles de Louis devaient trouver leur emploi, s’offrit enfin à sa mère.
Comme elle était absolument hors d’état de payer le prix d’une pension dans un lycée de l’Empire, elle paya de sa personne et ne dédaigna pas d’accepter la modeste fonction de lingère en second au lycée Louis-le-Grand (alors Lycée Impérial). Elle trouvait dans cette humble position qu’elle honora toujours, non seulement du pain pour elle et pour sa fille, mais encore la certitude que son fils aîné Louis et plus tard son fils cadet Edouard, qui devait lui être enlevé à vingt ans, seraient agréés comme élèves internes au lycée. La lingère en chef était une femme du meilleur monde qui ne tarda pas à apprécier le dévouement maternel de madame Hachette et l’intrépidité pour ainsi dire héroïque qu’elle apportait à l’accomplissement de tous ses devoirs.
Louis Hachette devint élève interne du Lycée Impérial vers l’année 1809, et n’oublia jamais à qui il devait le bienfait de l’éducation libérale qu’il y reçut et dont il a si bien profité. Sans avoir été alors ce qu’on appelle un brillant élève, il parcourut le cercle des études classiques avec une patience qui ne s’est pas démentie un moment. Sa raison, son jugement si droit, qui se sont manifestés de très bonne heure, n’ont fait que grandir. Son séjour au collège a laissé dans cette intelligence d’élite une empreinte ineffaçable. C’est aussi là qu’il a formé ces amitiés durables qui l’ont accompagné dans toutes les épreuves de la vie
Admis à l’École normale en 1819, dans un rang distingué et d’autant plus honorable qu’il avait à lutter contre des concurrents redoutables parmi lesquels il suffit de nommer Georges Farcy, Louis Quicherat, Eugène Geruzez, Bascou, il sentit se développer en lui dans cette célèbre école toutes les qualités du futur professeur. Ses dispositions naturelles furent alors merveilleusement secondées par un travail prodigieux qui prenait sur ses nuits. Pendant l’été, il s’éveillait à quatre heures du matin et lut tous les tragiques grecs. Il apprit plusieurs langues vivantes, l’anglais notamment, qu’il parlait couramment. Aussi, avec Georges Farcy et Louis Quicherat, mérita-t-il la récompense décernée exceptionnellement aux élèves de l’École normale de troisième année les plus distingués, et qui consistait en une médaille d’or.
Mais l’orage s’amoncelait et éclata en 1822 : la grande Ecole normale de Paris fut supprimé pour être remplacée, sur le papier c’est-à-dire pas encore, par les écoles normales partielles des académies. Les proscrits de 1822 furent partagés en deux catégories ; les uns étaient jetés sur le pavé de la capitale avec une misérable aumône ; les autres, ce qui était peut-être plus cruel encore et plus dérisoire, n’obtenaient que des emplois infimes, contraires à leur goût, à leur aptitude et à leur vocation. Louis Hachette fut placé dans la catégorie des indignes.
Il avait alors vingt-deux ans et se regardait avec raison comme le chef, le soutien et la providence de sa famille. Son premier soin fut d’arracher à sa position dépendante sa digne mère et de lui rendre un peu de cette liberté qu’elle n’avait aliénée que pour lui. Il l’installa chez elle et résolut de pourvoir largement à tous ses besoins. Comme il tenait de sa mère une prodigieuse capacité de travail et un courage à toute épreuve, il se mit à donner des leçons, tantôt isolées, tantôt collectives, recherchées avec empressement ; car c’était un très habile maître. Cuvillier-Fleury, son ancien condisciple du collège Louis-le-Grand, préfet des études de l’institution de Lanneau, l’attacha à cette célèbre maison en qualité de répétiteur de la classe de rhétorique.
Mais ce n’était pas là une position qui eût de l’avenir. Le présent était assuré sans doute. Louis Hachette voulait mieux. Il se chargea d’une éducation particulière, puisque les portes de l’Université lui étaient fermées. Dès que cette éducation fut terminée, il chercha sa voie. Comme l’esprit d’entreprise le passionnait, il essaya d’abord, à l’aide de quelques fonds qui lui furent généreusement prêtés par un de ses oncles, d’acquérir un pensionnat ; mais il fallait être agréé par l’administration universitaire de l’époque et cet agrément lui fut refusé.
Ses débuts dans cette carrière nouvelle furent bien modestes : une petite librairie située au rez-de-chaussée de la maison de la rue Pierre Sarrazin, rue obscure et étroite en 1826. C’était un brevet de libraire qu’il avait acquis plutôt qu’une librairie, qui ne possédait d’ailleurs qu’un seul ouvrage de fonds, étalait dans ses rayons bien peu de livres d’assortiment, et dont la clientèle était plus que restreinte. Mais cette modeste librairie se croyait classique, et l’épithète avait séduit Louis Hachette. Du mot il résolut de faire une vérité. Sic quoque docebo ! (Ainsi, moi aussi j’enseignerai) s’écria-t-il : il avait trouvé sa voie.
De la pensée à l’exécution il y avait un abîme ; mais à force d’énergie et de sage hardiesse, il le combla. C’est à l’Université qu’il s’adressa ; on lui en avait fermé les portes ; il y pénétra cependant et l’inonda de ses livres de classe, de ses éditions grecques, latines, françaises annotées, de ses dictionnaires, de ses grammaires, et accomplit bientôt une révolution véritable, grâce à son incomparable capacité de travail et à ce groupe de collaborateurs dignes de lui, qu’il savait si bien choisir.
Il avait besoin d’être secondé dans cette entreprise colossale et de créer un centre où les grandes traditions de notre enseignement national devaient se retrouver, où se retrouvaient également les proscrits de 1822. Louis Hachette associa donc à sa destinée une femme qui comprit admirablement les nécessités de sa position. Il épousa, en 1827, mademoiselle Barbédienne, sœur d’un de ses anciens condisciples du collège Louis-le-Grand. Le soir, elle tenait le salon de famille avec la plus rare distinction, et, dans la journée, elle travaillait comme le plus laborieux des commis, sans aucun souci de sa santé ou de ses grossesses, qui étaient fréquentes.
Au lendemain de la Révolution de 1830 à laquelle il prit part, le fusil à la main, dans les rues, Louis Hachette, rentré dans son magasin de librairie, aux prises avec les difficultés commerciales les plus graves, à une époque d’incertitude politique et de luttes acharnées qui tenaient tout le monde en suspens, se raidit contre la situation, dédaigna de recourir aux prêts dont le gouvernement croyait devoir aider le commerce, quoique l’industrie qu’il exploitait souffrît plus qu’aucune autre, et, fort de son seul courage, du crédit qui dès lors s’attachait à son nom et de la confiance de quelques amis, resta un des grands industriels de l’époque
Manuel général de l’instruction primaire de Louis Hachette, hebdomadaire créé en 1832
Sa famille s’était accrue. Sa sœur qu’il avait mariée et qui était restée veuve au bout d’un an de mariage, vint se réunir à son frère, se joignit à sa mère et à sa belle-sœur pour diriger la maison, élever les enfants, travailler dans les magasins. La présence de ces deux femmes dévouées était un coup de la Providence, car nous approchions de la terrible année 1832, qui répandit dans la capitale et sur tous les points de la France tant de ruines et de deuil. Le choléra emporta la jeune épouse de Louis Hachette, qui venait de lui donner un quatrième enfant, dont deux seulement survivaient, et qui ne put résister, malgré sa robuste constitution, aux suites d’un accouchement aggravé par le choléra. La pauvre femme laissait une fille de deux ans et demi et un fils qui venait de naître.
Louis Hachette supporta son malheur avec d’autant plus de constance qu’il trouva dans sa mère et dans sa sœur des auxiliaires admirables de dévouement. Grâce à elles, l’enfant au berceau, qui n’avait plus de mère, échappa aux dangers d’une grave maladie. Dans un travail incessant et dans des prodiges d’activité, Louis puisa de nouvelles forces. Lorsque la loi du 28 juin 1833 fit son apparition, il était sous les armes, et, en ce qui dépendait de lui, il seconda merveilleusement le mouvement imprimé à l’instruction primaire. « En 1834, dit-il dans une des trop rares brochures qu’il a signées de son nom, l’instruction primaire n’existait pour ainsi dire pas en France... Il n’y avait ni maisons d’école, ni maîtres, ni livres. Les maisons d’école ne sortent pas de terre au commandement ; les écoles normales ne s’organisent pas en un jour. Les livres seuls peuvent se produire rapidement. »
De concert avec Firmin Didot et Pitois-Levrault, Louis Hachette livra au gouvernement, pour les préfectures et sous-préfectures qui les distribuaient gratuitement dans les écoles, des masses considérables de livres élémentaires. Déjà, en 1832, il avait, de concert avec les mêmes éditeurs, auxquels s’était joint Jules Renouard, fondé le Manuel général de l’instruction primaire qui avait, dans l’origine, un caractère officiel que Louis Hachette justifie parfaitement dans la brochure dont nous avons déjà cité un passage. « La publication du Manuel général, dit-il à la page 10, avait à son début une raison d’être dans la situation des comités locaux et des comités d’arrondissements qui, au moment de leur formation, avaient besoin de direction, et dans la nécessité de donner une forte impulsion à l’instruction primaire. »
Ce Manuel général, s’il contribua sans doute à la diffusion de l’enseignement primaire, n’enrichit pas les quatre éditeurs qui s’en étaient chargés, puisqu’au moment où le caractère officiel fut retiré à l’ouvrage, le bénéfice net de l’exploitation s’est réduit à la somme de huit cent quatre-vingt-neuf francs quatre-vingt-quatre centimes.
La position commerciale et la réputation de Louis Hachette étaient déjà grandes, lorsque, effrayé de la solitude de son veuvage et sentant la nécessité de donner à sa maison une direction vigilante, aux clients qui se groupaient toujours plus nombreux autour de lui un centre de relations agréables, il épousa en secondes noces, le 28 février 1836, madame veuve Auzat, jeune femme qui avait ses goûts et qui se montra toujours fière de porter son nom. Elle lui apportait, avec une honnête aisance, la grâce de son sexe et les vertus de la mère de famille. Elle avait eu de son premier mariage une fille qui n’avait alors que onze ans et demi. Louis Hachette, en épousant la mère, se regarda comme le père de sa fille ; il l’adopta en quelque sorte, veilla à son éducation, se chargea de son avenir et ne la distingua jamais de ses autres enfants. Ce qui resserra encore les liens de cette double famille, ce fut la naissance d’un quatrième enfant, Georges Hachette, associé, comme son frère aîné Alfred, à la grande librairie.
Dès 1836, cette importante maison ne pouvait déjà plus se contenter d’un rez-de-chaussée ; on la transporta au premier étage, et quelques années plus tard elle fut installée dans une construction élevée tout exprès. Elle grandissait tous les jours et ne tarda pas à étendre ses relations sur le monde entier. C’est ainsi que Louis Hachette parvint à fonder un établissement sans rival en Europe.
Mais le chef de cette maison colossale ne s’épargnait guère ; il donnait à tous l’exemple de l’activité et du travail. Son cerveau infatigable inventait sans cesse de nouvelles combinaisons. Il était difficile que la plus vigoureuse organisation résistât à une pareille contention d’esprit. Aussi Louis Hachette tomba-t-il gravement malade d’une pleurésie qui mit sa vie en danger. Il avait appelé près de lui, en qualité de commis, le neveu du vénérable vieillard dont il avait, dans sa jeunesse, élevé le fils et qui l’avait généreusement aidé à son début commercial. C’était encore une dette de reconnaissance qu’il payait. Averti par la maladie que les forces humaines ont des bornes et convaincu après une expérience de deux années que ce jeune homme, Louis Bréton, pourrait l’aider à porter le fardeau des affaires, il se l’associa et lui donna plus tard en mariage, au mois d’avril 1844, sa belle-fille adoptive Zélime Auzat
Au lendemain de la Révolution de 1848, il se donna un second associé : il venait de marier sa fille Louise à Emile Templier, et ce nouveau membre de la famille exploita habilement une veine très féconde, celle de la littérature étrangère ou contemporaine, et des ouvrages illustrés. Dès lors la maison Hachette prit des développements inimaginables. Ce n’était pas assez de trois associés pour un tel mouvement d’affaires. Alfred Hachette, qui s’était marié au mois de janvier 1861, devint le quatrième, et au mois d’avril 1863, Georges Hachette le cinquième.
Passant la rude école de la pauvreté dans sa jeunesse, contrarié par les persécutions politiques, Louis Hachette assista au couronnement de l’édifice qu’il avait fondé de ses propres mains, et vit sa modeste librairie parisienne prendre les proportions d’une fabrique immense jetant chaque jour sur le marché de l’esprit quinze à vingt mille volumes, et en faisant rayonner cent mille sur tous les chemins du monde
Fils de Jean Hachette et d’Elisabeth Ledouble, Louis Hachette est né à Rethel (Ardennes) le 5 mai 1800. Son père, qu’il perdit d’assez bonne heure, en 1837, était un homme instruit, doué d’excellentes manières et fort capable de faire son chemin dans le monde, si, à peine marié, des spéculations imprudentes ne lui avaient pas enlevé à lui, à sa femme et à ses enfants, jusqu’aux dernières ressources.
Madame Hachette, complètement ruinée, aurait pu trouver dans sa famille, qui était très considérée à Rethel, les secours dont elle avait besoin. On les lui offrit ; mais elle les refusa bravement, ne voulant devoir qu’à elle-même le pain de ses enfants. Elle résolut de se diriger vers Paris où elle ne connaissait pour ainsi dire personne, mais où elle espérait que son activité, son incomparable énergie et son amour passionné du travail lui donneraient une position. C’était surtout dans l’intérêt de son fils aîné, enfant de sept ou huit ans, qu’elle cherchait une issue.
elle rêvait pour lui une éducation complète et cette instruction virile que distribuaient les lycées de l’Empire. Son mari, malgré la distinction de son esprit, ne lui fut d’aucun secours dans une entreprise si difficile. Il avait même quelque peine à se suffire à lui-même. Mettant cependant à profit les connaissances fort étendues qu’il avait acquises en pharmacie, il obtint le grade de pharmacien en chef des armées impériales, assista aux dernières convulsions du premier Empire, revint en 1814 aussi pauvre qu’il était parti et s’estima trop heureux d’exercer un modeste emploi de pharmacien dans une des maisons hospitalières de Paris.
Louis Hachette
En attendant que se présentât une occasion propice, l’indigence frappait à la porte de madame Hachette. Ne voulant pas laisser son fils Louis perdre son temps, elle l’envoya à l’école chrétienne qui existait près de l’église Saint-Séverin. Le moyen le plus efficace de faire admettre son fils dans un établissement d’instruction publique, où les dispositions naturelles de Louis devaient trouver leur emploi, s’offrit enfin à sa mère.
Comme elle était absolument hors d’état de payer le prix d’une pension dans un lycée de l’Empire, elle paya de sa personne et ne dédaigna pas d’accepter la modeste fonction de lingère en second au lycée Louis-le-Grand (alors Lycée Impérial). Elle trouvait dans cette humble position qu’elle honora toujours, non seulement du pain pour elle et pour sa fille, mais encore la certitude que son fils aîné Louis et plus tard son fils cadet Edouard, qui devait lui être enlevé à vingt ans, seraient agréés comme élèves internes au lycée. La lingère en chef était une femme du meilleur monde qui ne tarda pas à apprécier le dévouement maternel de madame Hachette et l’intrépidité pour ainsi dire héroïque qu’elle apportait à l’accomplissement de tous ses devoirs.
Louis Hachette devint élève interne du Lycée Impérial vers l’année 1809, et n’oublia jamais à qui il devait le bienfait de l’éducation libérale qu’il y reçut et dont il a si bien profité. Sans avoir été alors ce qu’on appelle un brillant élève, il parcourut le cercle des études classiques avec une patience qui ne s’est pas démentie un moment. Sa raison, son jugement si droit, qui se sont manifestés de très bonne heure, n’ont fait que grandir. Son séjour au collège a laissé dans cette intelligence d’élite une empreinte ineffaçable. C’est aussi là qu’il a formé ces amitiés durables qui l’ont accompagné dans toutes les épreuves de la vie
Admis à l’École normale en 1819, dans un rang distingué et d’autant plus honorable qu’il avait à lutter contre des concurrents redoutables parmi lesquels il suffit de nommer Georges Farcy, Louis Quicherat, Eugène Geruzez, Bascou, il sentit se développer en lui dans cette célèbre école toutes les qualités du futur professeur. Ses dispositions naturelles furent alors merveilleusement secondées par un travail prodigieux qui prenait sur ses nuits. Pendant l’été, il s’éveillait à quatre heures du matin et lut tous les tragiques grecs. Il apprit plusieurs langues vivantes, l’anglais notamment, qu’il parlait couramment. Aussi, avec Georges Farcy et Louis Quicherat, mérita-t-il la récompense décernée exceptionnellement aux élèves de l’École normale de troisième année les plus distingués, et qui consistait en une médaille d’or.
Mais l’orage s’amoncelait et éclata en 1822 : la grande Ecole normale de Paris fut supprimé pour être remplacée, sur le papier c’est-à-dire pas encore, par les écoles normales partielles des académies. Les proscrits de 1822 furent partagés en deux catégories ; les uns étaient jetés sur le pavé de la capitale avec une misérable aumône ; les autres, ce qui était peut-être plus cruel encore et plus dérisoire, n’obtenaient que des emplois infimes, contraires à leur goût, à leur aptitude et à leur vocation. Louis Hachette fut placé dans la catégorie des indignes.
Il avait alors vingt-deux ans et se regardait avec raison comme le chef, le soutien et la providence de sa famille. Son premier soin fut d’arracher à sa position dépendante sa digne mère et de lui rendre un peu de cette liberté qu’elle n’avait aliénée que pour lui. Il l’installa chez elle et résolut de pourvoir largement à tous ses besoins. Comme il tenait de sa mère une prodigieuse capacité de travail et un courage à toute épreuve, il se mit à donner des leçons, tantôt isolées, tantôt collectives, recherchées avec empressement ; car c’était un très habile maître. Cuvillier-Fleury, son ancien condisciple du collège Louis-le-Grand, préfet des études de l’institution de Lanneau, l’attacha à cette célèbre maison en qualité de répétiteur de la classe de rhétorique.
Mais ce n’était pas là une position qui eût de l’avenir. Le présent était assuré sans doute. Louis Hachette voulait mieux. Il se chargea d’une éducation particulière, puisque les portes de l’Université lui étaient fermées. Dès que cette éducation fut terminée, il chercha sa voie. Comme l’esprit d’entreprise le passionnait, il essaya d’abord, à l’aide de quelques fonds qui lui furent généreusement prêtés par un de ses oncles, d’acquérir un pensionnat ; mais il fallait être agréé par l’administration universitaire de l’époque et cet agrément lui fut refusé.
Ses débuts dans cette carrière nouvelle furent bien modestes : une petite librairie située au rez-de-chaussée de la maison de la rue Pierre Sarrazin, rue obscure et étroite en 1826. C’était un brevet de libraire qu’il avait acquis plutôt qu’une librairie, qui ne possédait d’ailleurs qu’un seul ouvrage de fonds, étalait dans ses rayons bien peu de livres d’assortiment, et dont la clientèle était plus que restreinte. Mais cette modeste librairie se croyait classique, et l’épithète avait séduit Louis Hachette. Du mot il résolut de faire une vérité. Sic quoque docebo ! (Ainsi, moi aussi j’enseignerai) s’écria-t-il : il avait trouvé sa voie.
De la pensée à l’exécution il y avait un abîme ; mais à force d’énergie et de sage hardiesse, il le combla. C’est à l’Université qu’il s’adressa ; on lui en avait fermé les portes ; il y pénétra cependant et l’inonda de ses livres de classe, de ses éditions grecques, latines, françaises annotées, de ses dictionnaires, de ses grammaires, et accomplit bientôt une révolution véritable, grâce à son incomparable capacité de travail et à ce groupe de collaborateurs dignes de lui, qu’il savait si bien choisir.
Il avait besoin d’être secondé dans cette entreprise colossale et de créer un centre où les grandes traditions de notre enseignement national devaient se retrouver, où se retrouvaient également les proscrits de 1822. Louis Hachette associa donc à sa destinée une femme qui comprit admirablement les nécessités de sa position. Il épousa, en 1827, mademoiselle Barbédienne, sœur d’un de ses anciens condisciples du collège Louis-le-Grand. Le soir, elle tenait le salon de famille avec la plus rare distinction, et, dans la journée, elle travaillait comme le plus laborieux des commis, sans aucun souci de sa santé ou de ses grossesses, qui étaient fréquentes.
Au lendemain de la Révolution de 1830 à laquelle il prit part, le fusil à la main, dans les rues, Louis Hachette, rentré dans son magasin de librairie, aux prises avec les difficultés commerciales les plus graves, à une époque d’incertitude politique et de luttes acharnées qui tenaient tout le monde en suspens, se raidit contre la situation, dédaigna de recourir aux prêts dont le gouvernement croyait devoir aider le commerce, quoique l’industrie qu’il exploitait souffrît plus qu’aucune autre, et, fort de son seul courage, du crédit qui dès lors s’attachait à son nom et de la confiance de quelques amis, resta un des grands industriels de l’époque
Manuel général de l’instruction primaire de Louis Hachette, hebdomadaire créé en 1832
Sa famille s’était accrue. Sa sœur qu’il avait mariée et qui était restée veuve au bout d’un an de mariage, vint se réunir à son frère, se joignit à sa mère et à sa belle-sœur pour diriger la maison, élever les enfants, travailler dans les magasins. La présence de ces deux femmes dévouées était un coup de la Providence, car nous approchions de la terrible année 1832, qui répandit dans la capitale et sur tous les points de la France tant de ruines et de deuil. Le choléra emporta la jeune épouse de Louis Hachette, qui venait de lui donner un quatrième enfant, dont deux seulement survivaient, et qui ne put résister, malgré sa robuste constitution, aux suites d’un accouchement aggravé par le choléra. La pauvre femme laissait une fille de deux ans et demi et un fils qui venait de naître.
Louis Hachette supporta son malheur avec d’autant plus de constance qu’il trouva dans sa mère et dans sa sœur des auxiliaires admirables de dévouement. Grâce à elles, l’enfant au berceau, qui n’avait plus de mère, échappa aux dangers d’une grave maladie. Dans un travail incessant et dans des prodiges d’activité, Louis puisa de nouvelles forces. Lorsque la loi du 28 juin 1833 fit son apparition, il était sous les armes, et, en ce qui dépendait de lui, il seconda merveilleusement le mouvement imprimé à l’instruction primaire. « En 1834, dit-il dans une des trop rares brochures qu’il a signées de son nom, l’instruction primaire n’existait pour ainsi dire pas en France... Il n’y avait ni maisons d’école, ni maîtres, ni livres. Les maisons d’école ne sortent pas de terre au commandement ; les écoles normales ne s’organisent pas en un jour. Les livres seuls peuvent se produire rapidement. »
De concert avec Firmin Didot et Pitois-Levrault, Louis Hachette livra au gouvernement, pour les préfectures et sous-préfectures qui les distribuaient gratuitement dans les écoles, des masses considérables de livres élémentaires. Déjà, en 1832, il avait, de concert avec les mêmes éditeurs, auxquels s’était joint Jules Renouard, fondé le Manuel général de l’instruction primaire qui avait, dans l’origine, un caractère officiel que Louis Hachette justifie parfaitement dans la brochure dont nous avons déjà cité un passage. « La publication du Manuel général, dit-il à la page 10, avait à son début une raison d’être dans la situation des comités locaux et des comités d’arrondissements qui, au moment de leur formation, avaient besoin de direction, et dans la nécessité de donner une forte impulsion à l’instruction primaire. »
Ce Manuel général, s’il contribua sans doute à la diffusion de l’enseignement primaire, n’enrichit pas les quatre éditeurs qui s’en étaient chargés, puisqu’au moment où le caractère officiel fut retiré à l’ouvrage, le bénéfice net de l’exploitation s’est réduit à la somme de huit cent quatre-vingt-neuf francs quatre-vingt-quatre centimes.
La position commerciale et la réputation de Louis Hachette étaient déjà grandes, lorsque, effrayé de la solitude de son veuvage et sentant la nécessité de donner à sa maison une direction vigilante, aux clients qui se groupaient toujours plus nombreux autour de lui un centre de relations agréables, il épousa en secondes noces, le 28 février 1836, madame veuve Auzat, jeune femme qui avait ses goûts et qui se montra toujours fière de porter son nom. Elle lui apportait, avec une honnête aisance, la grâce de son sexe et les vertus de la mère de famille. Elle avait eu de son premier mariage une fille qui n’avait alors que onze ans et demi. Louis Hachette, en épousant la mère, se regarda comme le père de sa fille ; il l’adopta en quelque sorte, veilla à son éducation, se chargea de son avenir et ne la distingua jamais de ses autres enfants. Ce qui resserra encore les liens de cette double famille, ce fut la naissance d’un quatrième enfant, Georges Hachette, associé, comme son frère aîné Alfred, à la grande librairie.
Dès 1836, cette importante maison ne pouvait déjà plus se contenter d’un rez-de-chaussée ; on la transporta au premier étage, et quelques années plus tard elle fut installée dans une construction élevée tout exprès. Elle grandissait tous les jours et ne tarda pas à étendre ses relations sur le monde entier. C’est ainsi que Louis Hachette parvint à fonder un établissement sans rival en Europe.
Mais le chef de cette maison colossale ne s’épargnait guère ; il donnait à tous l’exemple de l’activité et du travail. Son cerveau infatigable inventait sans cesse de nouvelles combinaisons. Il était difficile que la plus vigoureuse organisation résistât à une pareille contention d’esprit. Aussi Louis Hachette tomba-t-il gravement malade d’une pleurésie qui mit sa vie en danger. Il avait appelé près de lui, en qualité de commis, le neveu du vénérable vieillard dont il avait, dans sa jeunesse, élevé le fils et qui l’avait généreusement aidé à son début commercial. C’était encore une dette de reconnaissance qu’il payait. Averti par la maladie que les forces humaines ont des bornes et convaincu après une expérience de deux années que ce jeune homme, Louis Bréton, pourrait l’aider à porter le fardeau des affaires, il se l’associa et lui donna plus tard en mariage, au mois d’avril 1844, sa belle-fille adoptive Zélime Auzat
Au lendemain de la Révolution de 1848, il se donna un second associé : il venait de marier sa fille Louise à Emile Templier, et ce nouveau membre de la famille exploita habilement une veine très féconde, celle de la littérature étrangère ou contemporaine, et des ouvrages illustrés. Dès lors la maison Hachette prit des développements inimaginables. Ce n’était pas assez de trois associés pour un tel mouvement d’affaires. Alfred Hachette, qui s’était marié au mois de janvier 1861, devint le quatrième, et au mois d’avril 1863, Georges Hachette le cinquième.
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